Mademoiselle
nièce est arrivée fort tard, pour mieux se faire remarquer. Avec ses suivantes, la Fiesque et la Montglas.
— Ses « loupines », comme les appelle le gazetier, ses jeunes louves.
— Toutes trois, on me l'a raconté, habillées pareillement de satin crème, le corsage boutonné de deux rangées de grosses perles, un minuscule béguin de satin crème, en pointe, sur le dessus de la tête, les seins dénudés mais recouverts d'une dentelle crème, en point de France.
— Pour la collation, justement, il y avait de la crème servie dans de petits pots de faïence normande, de Sotte-ville, je crois, et présentés sur des assiettes d'argent. C'est nouveau. Cela fait fureur. Alors, à l'entrée de votre nièce, un duc malicieux a lancé à a cantonade : « Voici Mademoiselle, la crème des pucelles. » Ses compagnons pouffaient de rire. Comment peut-elle s'afficher de la sorte ?
La reine soupira. Elle ne reconnaissait pas en cette effrontée la fillette qu'elle avait chérie. Et puis elle en avaitassez de l'agitation du royaume. Vivement la majorité de son fils et la fin de sa régence. Que l'ordre revienne en France, et surtout le cardinal !
Elle n'était pas au bout de ses peines. Condé lui infligea le camouflet de partir ostensiblement de Paris vers la Gascogne, le jour où l'on devait fêter les treize ans de Louis. Allait-il se vendre aux ennemis, aux Espagnols ? Mazarin, toujours haï des Français, piaffait de rentrer le poursuivre et le vaincre, mais avec quelle armée ?
Plus que jamais, le duc d'Orléans paraissait être le garant d'un certain équilibre, et le mariage d'Anne-Louise avec le roi le prix de sa bonne volonté. Il fallait absolument empêcher Gaston de s'allier à Condé.
Allons, se gourmandait la régente, elle le ménagerait, elle le flatterait. Elle lui promettrait l'alliance de sa fille et de Louis.
Avec celui-ci au moins, pas de problèmes. Sa mère lui parlait mariage avec l'une de ses nièces. Laquelle ? Elle en avait tellement ! Une princesse de Savoie ? L'infante d'Espagne, qu'il n'avait jamais rencontrée ? La petite Henriette d'Angleterre, si maigre ? Cette grande Montpensier, qui aimait tant le presser dans ses bras ? Il s'en moquait. Pour le petit roi, rien ne comptait que la raison d'État.
7
Rupture, départ
On l'introduisit dans la chambre de sa tante d'Angleterre. C'était la fin d'un après-midi de novembre. On n'y voyait guère. Anne-Louise aperçut près de la cheminée un homme qui regardait flamber les bûches. Épaules tombantes, cheveux très courts, barbe en broussaille, un étrange habit de pêcheur. Qui était-ce ? Au mouvement qu'il fit pour se redresser, elle le reconnut. Charles ! Dans quel accoutrement !
Il se jeta à ses pieds et, dans un très bon français, lui conta avec émotion ses tribulations en Écosse et, pour finir, son échec à reconquérir le trône d'Angleterre et l'anéantissement de son armée. Durement vaincu par les républicains à Worcester, il avait réussi à leur échapper, seul, par miracle, dissimulé dans un arbre — un noyer touffu.
Quand il en fut descendu, un paysan, le reconnaissant, l'emmena chez lui où il l'abrita plusieurs semaines, luicoupa les cheveux, lui prêta un cheval et... sa sœur, que Charles mit en croupe derrière lui. Dans cet équipage, il arriva à Londres sans encombre.
Après s'être caché quelques jours chez la providentielle sœur, il s'embarqua sur la Tamise dans un bateau qui se rendait à Dieppe et dont, par chance, le capitaine, ravi de sauver son roi, le déguisa en marin et le conduisit en France.
— La perte de la bataille, affirma le jeune homme avec passion, me fut fort adoucie par l'espoir de regagner un pays auquel je suis attaché et par la pensée de retrouver à Paris certaine personne pour qui j'ai tant d'amitié.
Ce disant, il regardait Anne-Louise d'un air craintif et soumis. Elle buvait ses paroles. Comme il avait changé ! Enfin, il lui disait des douceurs et, sans le moindre accent anglais, il la persuadait que la langue de l'Amour, c'était le français.
Il ne bougeait de chez elle, la voyait chaque jour, appréciait ses violons, la faisait danser, se conduisait avec la plus grande délicatesse et se mêlait aux divertissements de sa brillante compagnie. Ils jouèrent au nouveau jeu de colin-maillard.
— N'ayez pas peur, disait Anne-Louise à Gillonne. C'est un jeu d'enfant. Je bande vos beaux yeux avec cette écharpe sombre, je vous fais tourner
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