Mademoiselle
Louvre. La jeune fille pourrait y voir l'arrivée du petit roi. Pour rien au monde elle ne l'aurait manquée. Dans son malheur elle en attendait un miracle.
Penchée sur la balustrade, elle aperçut un homme qui vendait des lanternes en papier, comme on en mettait aux fenêtres les soirs de réjouissances, et qui criait : « Lanternes à la royale. » Le temps des victoires de son père lui revint brusquement à l'esprit. Mais ce temps était fini, le désespoir la gagna. Étourdiment, elle interpella le colporteur : « N'avez-vous point de lanternes à la Fronde ? »
Mme de Choisy la tira brutalement à l'intérieur.
— Seigneur, à quoi pensez-vous, Mademoiselle ? Vous voulez donc me faire assommer. Je vous prie de quitter ce balcon.
Alors, elle retourna chez Gillonne.
Celle-ci était en grande alarme. On venait d'apprendre que le duc d'Orléans avait reçu du roi l'ordre de quitter Paris. Certaines rumeurs rapportaient que sa fille allait être arrêtée.
Dès que Mme de Fiesque, la belle-mère, l'ancienne gouvernante d'Anne-Louise, apprit que la jeune fille était encore dans sa maison, elle s'empressa de lui déclarer :
— Je suis vieille, mal portante et n'ai pas l'intention de me brouiller avec la cour. Je ne veux pas savoir que vous avez passé la nuit d'avant sous mon toit, ni que vous vous disposez à y passer la nuit prochaine. Je ne veux d'ailleurs rien savoir de vos projets. Ainsi, au cas où l'on m'interrogerait, je dirai que je ne sais rien, et ce sera la vérité. Quant à vous, ma fille, suivez-moi. Vous avez grand besoin de vous reposer. Votre récente fausse couche vous a beaucoup affaiblie.
Gillonne obéit.
Il ne resta, avec Anne-Louise et Perrette, que Claire et Préfontaine. Entré au service de Mademoiselle comme secrétaire, ce dernier était devenu son conseiller attentif. Il tâcha de la rassurer. Sa crainte d'une arrestation était sans fondement. En revanche, il fallait aviser pour la nuit puisque Mademoiselle se refusait à la passer sous le toit de cette gredine de Fiesque.
Claire proposa que l'on aille chez sa belle-sœur, Mme de Montmor, femme d'un maître des requêtes membre de l'Académie française. Ils avaient une grande maison et ne recevaient jamais personne. Mademoiselle y serait en sécurité.
— Que tout se passe dans le plus grand secret, ordonna Anne-Louise.
L'heure du souper arrivait. Elle le commanda à voix forte aux domestiques de la Fiesque, puis leur dit :
— En attendant, je ne veux plus personne avec moi.Que mes proches. J'ai plusieurs lettres à écrire. J'ai besoin de silence.
À peine la porte fermée, elle sortit par une autre issue avec ses trois compagnons. Délaissant ses carrosses armoriés, elle monta dans celui de Préfontaine.
Dans la rue, un petit garçon chantait une rengaine nouvelle contre les gens du Parlement de Paris et les habitants du palais du Luxembourg : « Bientôt l'on verra Madame Anne, la reine, vous faire rouer de coups, rouer de coups. » Elle ne put s'empêcher de frissonner.
À la porte de Mme de Montmor, elle attendit dans le carrosse, son capuchon rabattu sur le visage. Claire entra la première, puis vint la chercher. Mme de Montmor l'accueillit en s'excusant. Elle, son mari et ses gens avaient déjà soupé. Elle ne pouvait envoyer chercher d'autres nourritures en ville, car on risquait de se douter qu'elle recevait quelqu'un d'important. Elle n'avait que de la viande froide et des confitures à offrir.
— N'importe, la rassura Anne-Louise. Cela nous réconfortera. Nous en avons grand besoin.
La fuite avait été rondement menée. Le mardi 22, le Tout-Paris s'interrogeait en apprenant la disparition de Mademoiselle. Où est-elle donc passée ?
11
Le piège
Le cœur battant, elle écoutait Préfontaine. Il avait rencontré son père à Berny. Pour obéir à l'ordre du roi, Gaston quittait Paris. Il se rendait à Blois. Préfontaine n'avait pas l'intention de lui révéler où se cachait Mademoiselle, mais le duc n'eut même pas la curiosité de le demander. Quand Préfontaine le supplia de recueillir sa fille chez lui, il se mit en colère et s'écria :
— Il n'en est pas question. Elle nous importunerait trop, mon épouse et moi-même. Elle ne manque pas de maisons. Qu'elle aille donc à Bois-le-Vicomte. Si elle s'obstine à venir chez moi, je l'en chasserai.
À ce récit, Anne-Louise frémit, les larmes lui montèrent aux yeux. Puis, refoulant son chagrin, elle se décida. Elle ne
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