Mademoiselle
pourrait longtemps continuer à se cacher dans Paris. Elle ne le supporterait pas, elle avait besoin de grand air, de promenades à cheval, de liberté. Partir pour Bois-le-Vicomte ? Jamais, puisque son père, dont la conduite larévoltait, le lui conseillait. En revanche, elle ferait mine de s'y rendre. Elle enverrait là-bas deux ou trois voitures avec ses hardes et ses papiers. Le carrosse de Préfontaine les suivrait.
Pendant ce temps, elle s'en irait avec lui, Claire et Perrette. Ailleurs.
Gillonne aux Tuileries garderait ses autres bagages et les expédierait quand on le lui dirait.
Ainsi fut fait. Dans le plus grand secret, Préfontaine s'occupa de tout, domestiques, argent, équipages, chevaux, relais. Et, le mardi 22 octobre, Mademoiselle monta, accompagnée de ses fidèles, de deux laquais sûrs et d'un cocher, dans un carrosse sans armes. Elle portait jupe, habit, chapeau et cape de lainage bleu sombre, un loup de satin noir sur le visage.
L'aventure ne lui faisait pas peur. Elle était jeune et solide. Ils allaient voir, les sans-cœur, son cousin qui la chassait des Tuileries, son père qui la chassait du Luxembourg ! Elle se débrouillerait. Sans eux. En même temps, l'inconnu l'effrayait.
Une fois de plus, Claire se montra d'un grand secours en suggérant de se rendre chez Mme de Bouthillier, sa parente, dont le fils était mort récemment au service de Condé. On s'arrêterait d'abord à L'Épine, sa demeure campagnarde, ensuite dans sa maison de Pont-sur-Seine, où elle se trouvait.
Anne-Louise mourait de peur d'être arrêtée par les gardes du roi. Passé la Marne, elle se rassura un peu. On fit reposer les chevaux près de Brie-Comte-Robert et l'on s'apprêta à se restaurer dans une hôtellerie. Avant le départ, le carrosse avait été chargé de pâtés, d'eau de framboise et de viande de mouton. La viande était crue. On la donna à l'hôtesse pour la cuire.
- En fricassée, recommanda Mademoiselle, pas en rôti. Ce serait trop long.
Tout en déjeunant, la jeune fille restait sur le qui-vive. Entendant l'aubergiste se plaindre des dégâts causés par les troupes de Condé, elle s'obligea même à compatir.
Soudain, elle entendit une cloche. On la tirait aux écuries pour prévenir de l'arrivée de carrosses ou de cavaliers. La peur la prit. Préfontaine n'en menait pas large. Ils se précipitèrent tous dans le carrosse, leur viande à la main. Il fallait déguerpir, on finirait le repas en route.
Ils n'arrivèrent à L'Épine qu'à une heure du matin. Claire, qui connaissait le concierge, lui demanda des chambres pour elle, ses amies et leur compagnon. On sortit le reste du mouton cru que le cuisinier grilla. Avec ses deux aides, il tua même des poulets et des pigeons, qu'il rôtit fort avant dans la nuit, pour le lendemain.
Il sortit d'admirables fromages de la région dont Anne-Louise raffolait. Ils mangèrent tous à la même table en s'appelant mon frère, ma sœur, ma cousine. Cela ragaillardit la jeune fille.
Le lendemain midi, près de Provins, elle entra dans la cuisine d'un relais de poste. Un dominicain, qui y mangeait, lui demanda :
- Je viens de Nancy. J'ai appris que le roi était revenu à Paris. Savez-vous si c'est vrai ? D'où venez-vous ?
— De Paris, et le roi y est revenu il y a deux jours, c'est vrai. Le duc d'Orléans et sa fille en sont partis.
- J'en suis au regret pour eux. Mademoiselle est une brave fille. Elle a du courage et porte une pique avec autant d'aisance qu'un masque de satin. Ignorez-vous qu'elle a sauté les murailles d'Orléans pour y entrer et qu'elle asauvé la vie du prince de Condé à la porte Saint-Antoine ? Au fait, l'avez-vous déjà rencontrée ?
Anne-Louise fit non de la tête, inquiète et intriguée à la fois par le tour que prenait la conversation.
- Elle est grande, assez belle. Vous lui ressemblez par la taille. Si vous ôtiez votre masque, je verrais si vous lui ressemblez aussi de visage.
- Je ne puis l'enlever, J'ai eu la petite vérole il y a peu de temps, et suis encore rouge. Avez-vous déjà parlé à Mademoiselle ?
— Mille fois. Je la voyais les premiers dimanches du mois à notre couvent de la rue Saint-Honoré, avec la reine. Je la reconnaîtrais entre cent personnes si je lui parlais. Mais, à propos, qui êtes-vous donc, Madame, pour me tant questionner ?
— Une veuve, qui se rend en Champagne. Mon frère et ma belle-sœur m'accompagnent.
- Si vous venez jamais à notre couvent de
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