Mademoiselle
Saint-Honoré, Madame, venez donc me voir.
- Hélas, Monsieur, je suis de la religion réformée.
Rien de tel pour clouer le bec du curieux dominicain.
À Pont-sur-Seine, l'accueil de Mme de Bouthillier fut chaleureux. On présenta la fugitive aux domestiques comme une parente éloignée. Il y avait d'ailleurs peu de danger qu'on la reconnût. Depuis la mort de son fils, la maîtresse de maison ne voulait voir personne. Malheureusement, une de ses intimes, de passage, se présenta vers le soir et demanda l'hospitalité. Il fallait la recevoir, sinon elle aurait flairé un mystère.
Anne-Louise se claquemura dans son appartement. Mme de Bouthillier déclara à son amie que souffrante, elle mangeait et se couchait de bonne heure. Elle la fit doncsouper à six heures, et la conduisit dans sa chambre à sept, où elle l'enferma.
Mais les domestiques de la dame dormaient dans l'arrière-cour et virent par les fenêtres éclairées de la cuisine qu'un autre souper se préparait. Ils en informèrent le lendemain leur maîtresse, qui questionna Mme de Bouthillier. Celle-ci répondit qu'elle n'était au courant de rien et poussa avec vigueur hors de chez elle son amie. La bonne dame, surprise de ce comportement étrange, le mit sur le compte du chagrin.
Peu après, Anne-Louise apprit avec stupeur que ses carrosses avaient été pillés sur la route de Bois-le-Vicomte. Elle croyait naïvement que ses armoiries la protégeaient des voleurs !
Préfontaine se lamentait sur la perte probable de l'argent et du linge. Anne-Louise craignait que l'on n'eût dérobé ses brouillons de romans, les poèmes de Claire et un volume de L'Astrée auquel elle tenait particulièrement.
Elle fut vite rassurée. Les voleurs avaient effectivement emporté l'argent, le linge, et même quelques habits de Préfontaine, mais ils avaient laissé livre et manuscrits...
Un peu plus tard, une autre nouvelle la bouleversa. Un lieutenant des gardes du roi était venu à L'Épine et s'était enquis d'elle. On la suivait donc ? Mme de Bouthillier lui offrit tout de suite une de ses maisons, perdue en pleine campagne. Pas question d'accepter.
- Je ne saurais courir si vite qu'on ne m'attrape, si l'on veut. Et vous, Madame, vous ne pourrez éternellement dire que vous ne savez où je suis.
Sur ces entrefaites, un gentilhomme de Condé lui apporta une lettre de son maître. Un réconfort. Le prince reconnaissait ce qu'il lui devait, lui offrait sa vie s'il en était besoin, et l'invitait à s'établir en Flandre, dans la ville de son choix. Là encore, la proposition était généreusemais inacceptable. Elle n'avait pas envie de s'expatrier ni de se jeter dans les bras des Espagnols. Elle n'avait pas non plus intérêt à manifester son hostilité à la cour de France.
Après avoir envisagé avec Préfontaine toutes les possibilités, elle se résolut, la mort dans l'âme, à partir pour son château de Saint-Fargeau, en Bourgogne. Il ne se trouvait qu'à trois jours de Paris, à trois de Blois, la résidence préférée de son père. On avertit Gillonne d'avoir à y envoyer les mules, les carrosses, les bagages, les gens, bref tout le train de maison de Mademoiselle.
Désespérée de courir les routes comme une fuyarde, de voir ses exploits réduits à néant, et remplie d'effroi à l'idée d'être poursuivie, Anne-Louise quitta Pont-sur-Seine.
La pluie ne cessait de tomber. Elle voulait aller vite pour échapper à ses espions. Plus question de s'arrêter dans une auberge ni de manger chaud. On se nourrit du reste des bienheureux pigeons et poulets de Pont.
La halte du soir était prévue dans une petite maison de Mme de Bouthillier, décidément une providence ! Mais le couple de concierges affola les voyageurs en mentionnant les nombreux soldats qui patrouillaient dans le coin. Ils recherchaient, disaient-ils les paysans qui ne payaient pas leurs impôts.
Anne-Louise se persuada que c'était à elle qu'ils en voulaient. Elle avait de plus en plus hâte de se trouver à l'abri, dans sa maison forte. Aussi se mit-on en route avant le jour. En chemin, un courrier à cheval envoyé par Gillonne les rattrapa. Elle disait avoir obéi aux ordres donnés et transmettait une lettre du roi.
Tremblant d'espoir et de crainte, Anne-Louise s'en saisit par la portière du carrosse. L'eau tambourinait avec violence sur le toit. Sur ce chemin perdu de Bourgogne,zébré des rafales de la pluie, obscurci par d'épais nuages, entouré d'arbres touffus et
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