Mademoiselle

veut pas de mal. » Mais son malaise allait croissant.
    À mesure qu'ils chevauchaient — fort lentement — , elle trouva son père de plus en plus nerveux. Il s'enfonçait dans ses pensées, prenait ses désirs pour des réalités, réinventait sa vie et ses révoltes, piquait des rages séniles.
    Brusquement, il s'emporta contre sa belle-sœur et le cardinal.
    - S'ils n'ont pas pour moi les égards qu'ils me doivent, je vous le dis tout net, je me barricade dans mon domaine de Chambord, et s'ils me coupent les vivres, je tiens bon, et je mange là-bas jusqu'au dernier de mes cerfs.
    Puis il s'extasia longuement sur la beauté de sa fille Élisabeth.
    - Un morceau de choix, un morceau de roi. Je veux la marier à Louis. C'est non plus cher désir que mon neveu épouse l'une de mes filles. Élisabeth fera une parfaite reine de France.
    Anne-Louise frémit de jalousie. Son père ne la comptait pour rien ! Aussi quand il larmoya sur la santé de sa femme, elle ne put résister au plaisir de répliquer :
    — Voilà pourquoi, depuis mon arrivée à Blois, ma belle-mère n'a pas trouvé un instant pour me recevoir. Il faut donc qu'elle soit bien malade. J'avais cru pourtant que l'on attelait tantôt son carrosse pour la promenade.
    Une pluie fine commençait à tomber. Ils regagnèrent le château. Il était temps. Elle ne pouvait plus contenir son amertume et sa déception.
    Trois jours après, le dimanche 7 mars, premier du carême, ce fut pis.
    Un homme à cheval arriva de Paris dans la matinée. Préfontaine l'envoyait pour annoncer que Mlle de Montpensier avait gagné en tous points son procès au Parlement. Le duc de Richelieu lui rendait Champigny, s'engageait àreconstruire son château ou à l'indemniser. On prendrait même en compte la dégradation des bois.
    Anne-Louise, en dînant à midi avec Claire, laissa éclater sa joie.
    - Un succès, enfin ! Peut-être le premier de beaucoup d'autres. Que j'ai de satisfaction à rentrer en possession de Champigny, la terre de mes ancêtres Montpensier ! Que j'ai de reconnaissance à Préfontaine ! Comme il a peu ménagé sa peine !
    Claire fit semblant de partager cette joie mais ne répondit rien. Elle comptait les coups. Le suivant ne se fit pas attendre.
    Avant que l'après-midi ne s'achevât, Gaston convoqua sa fille dans sa chambre. Un grand feu y brûlait. Le discours de Gaston fut glacial.
    — Il me faut encore, Mademoiselle, corriger une de vos nombreuses maladresses. Il n'est pas séant que vous soyez libre de choisir votre homme d'affaires. Vous pouvez être trompée et conduite à commettre les plus grandes erreurs du monde. C'est moi qui dois décider de ce choix.
    — Mais, mon père, ce sont mes affaires, c'est mon bien. Je veux que l'on agisse à ma mode. Je veux choisir mes gens.
    — Assez de discussions. Vous devez m'obéir. Ne m'embarrassez pas plus longtemps de votre présence ni de vos problèmes domestiques. J'ai mieux à faire.
    Bien que son nom ne fût pas prononcé, Anne-Louise savait qu'il s'agissait de Préfontaine. Effectivement, elle reçut de lui un billet désolé annonçant son renvoi, signifié par le duc d'Orléans. La mort dans l'âme à la pensée de quitter sa princesse, il resterait quelques jours à Saint-Fargeau et mettrait en ordre jusqu'à ses moindres affaires. Puis il partirait pour le Limousin et se retirerait dans un couvent. Le monde, à présent, lui répugnait.
    Claire, informée, pensa avec satisfaction que la manœuvre d'isolement de sa maîtresse se précisait. Anne-Louise ne fut pas surprise de ce renvoi, mais elle en fut cruellement blessée. Le carême commençait mal.
    - Pourquoi mon père me prive-t-il d'un serviteur dévoué, avisé, qui s'est employé à me faire gagner au Parlement un procès important ? Me déteste-t-il maintenant au point de jalouser mes succès ? Ce ne peut être cruauté pure et simple. Alors ?
    Claire se tenait près d'elle, à l'écouter, Claire qui allait la réconforter. Vite, elle se retourna vers elle. Trop vite. Claire n'eut pas le temps de baisser les paupières, et Anne-Louise aperçut un éclair de contentement dans ses yeux. Elle en fut glacée mais se retira sans rien dire.
    Elle commençait à comprendre ce qui se tramait contre elle. L'enjeu de la partie juridique engagée était immense. En comparaison, récupérer Champigny représentait peu de chose. Pour mieux la vaincre, on la privait de Préfontaine. Il était redoutable en affaires. Son succès au