Mademoiselle
plus la maîtresse. Depuis le voyage d'Orléans, c'est la petite guerre entre mes dames et moi. Nos rapports se sont envenimés. Elles me reprochent la rupture avec mon père : « Il nous aurait ramenées à la cour, lui... D'ailleurs nous y rentrerons bientôt dans son sillage. Nous ne dépendons que de lui. »
Anne-Louise soupira avant de poursuivre.
- Elles n'arrêtent pas de se plaindre. En réalité, ce sont elles les maîtresses. Si, si, je vous l'assure, continua-t-elle devant le geste surpris de Gabrielle. Elles n'hésitent pas à contredire systématiquement mes ordres. Les domestiques ne savent plus à quel saint se vouer. Il n'y a que Perrette qui essaie de conserver un semblant d'ordre au château. Et l'arrivée de Frontenac n'augure rien de bon.
Elle ne se trompait pas. Le soir même, il fit dresser un lit dans la chambre de sa femme. Gillonne vint occuper un cabinet voisin dont la porte ne fermait pas à clé. Dès lors, ce furent nuit et jour des va-et-vient incessants, des coucheries, des paillardises qui ragaillardissaient les jeunes femmes en manque de plaisirs.
Elles se déchaînaient, s'excitaient de leurs propresaudaces et de la présence d'un homme auprès d'elles. Ils s'habillaient tous ensemble devant les domestiques, convoquaient les violons à n'importe quelle heure, commandaient huîtres et perdreaux, buvaient force vin de Bourgogne aux frais de Mademoiselle. Frontenac se moquait ouvertement d'elle.
- Allons, Claire, avouez-le. Vous jouissez mieux avec moi qu'avec votre pucelle timorée.
Claire riait. La vulgarité de Blaise, qui autrefois l'avait agacée, la réjouissait aujourd'hui. Après une si longue séparation, elle avait oublié combien il l'amusait. De son côté, Gillonne dévorait la jeune femme des yeux, l'embrassait sans retenue et imitait Anne-Louise à la perfection.
« Vos cheveux si blonds, vos mains si douces... »
Le diamant Montpensier brillait au doigt de Claire, étincelant et sans âme.
Alors, pendant plus d'un an, l'anarchie régna à Saint-Fargeau. Anne-Louise ne pouvait l'ignorer. Elle entendait les violons, les cris de plaisir, les bals jusqu'au petit matin, elle voyait les cuisiniers et les sommeliers s'activer inlassablement auprès des Frontenac et de la Fiesque. Ces trois-là vivaient en pays conquis et les domestiques étaient chaque jour plus nombreux à prendre leur parti.
- Je n'y peux rien, gémissait Anne-Louise auprès de Gabrielle. Tout est suspendu aux décisions de mon père. Il m'ignore, il m'abandonne. Sans lui, je ne suis plus rien. Ces diablesses le voient et en profitent.
De fait, Claire et Gillonne complotaient sans cesse avec les gens de Gaston pour leur retour. On leur devait bien ça. Après tout, elles avaient joué le bon cheval. Elles avaient trahi la princesse bien avant la rupture d'Orléans,affirmaient-elles. Elles n'avaient pas assez de mots pour la critiquer.
Gabrielle était restée au château. Le spectacle en valait la peine. Hélas, sa présence ajoutait au désordre.
Elle jouait avec ses femmes tard dans la nuit, traînait le matin au lit. Il fallait l'appeler vingt fois à l'heure du dîner. Elle arrivait, échevelée, sans même un fichu de batiste sur la tête, souvent sans s'être habillée. Simplement en jupon, corset, tours de gorge entoilés et petites mules de satin à talons, au mieux en manteau de lit de mousseline brodée, mais toujours un mouchoir à la main, un beau carré de dentelle orné aux quatre coins de glands de soie. Pour faire comme la reine.
- Je me moque que les visiteurs de Mademoiselle me voient ainsi. Les gens intelligents attribueront cette familiarité à la faveur dont je jouis ici. Les sots me prendront pour folle, ce dont je ne me soucie pas.
Trois ou quatre pages la suivaient, portant sa robe. Elle riait de voir leur allure guindée, leur arrachait des mains le vêtement de satin ou de taffetas, et l'enfilait toujours en riant devant les dîneurs médusés. Pauvre Anne-Louise, si férue d'étiquette !
Ce n'était pas malveillance de la part de Gabrielle. Au contraire, elle blâmait la méchanceté de la Fiesque et de la Frontenac envers leur maîtresse et se scandalisait de leurs manières. Et puis Anne-Louise lui faisait pitié. Cette princesse si hardie, si fière, qui se plaignait à elle...
— Ma grand-mère vient de mourir, lui annonça-t-elle un soir. Moins d'un an après notre entrevue d'Orléans. Je ne dirais pas comme Perrette, qui voit rouge dès qu'on
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