Mademoiselle
reprit, et ses yeux bleus étincelèrent.
— Quant à ceux qui m'ont brouillée avec vous injustement, je ne leur pardonnerai pas. Je vous en demande justice et si vous ne me la faites, je me la ferai moi-même.
Gaston tourna vers sa fille un visage rouge de fureur contenue. Quand elle eut fini, il lança : « Voilà un étrange discours », et sortit.
Jusqu'ici Anne-Louise avait cru en sa bonne foi. Quand elle se fut réfugiée dans sa chambre pour lire la transaction, elle ne pouvait raisonnablement plus y croire.
Rien ne demeurait de ce qui avait été conclu oralement. La moitié des dettes, huit cent mille livres, restait à la charge de Mademoiselle. Et, pour l'autre moitié, son père, arguant de coutumes contestables, prétendait avoir sur son bien des droits équivalents. Le tour était joué. Il n'avait plus rien à payer.
Tout inexpérimentée qu'elle fût, elle devina la série de tricheries et de créances fictives qui avaient abouti à pareil résultat. Elle décela même, à la première lecture, une grossière erreur de calcul. Impensable dans une transaction qui mettait en jeu des sommes si importantes.
La rage l'étouffa. Elle écrivit sur-le-champ aux juges pour protester. Leur réponse fut immédiate et sans ambiguïté. Mme de Guise ne leur avait pas fait lire la rédaction finale de la transaction. Elle était seule responsable.
Séance tenante, Anne-Louise se rendit chez sa grand-mère et, trois heures durant, en présence de sa plus jeunefille, Marie, elle lui exposa les injustices dont on l'accablait. Et même l'erreur de calcul.
Mme de Guise riposta aigrement. Les calculs étaient fort bien faits. En doutant de leur justesse, Mademoiselle l'offensait.
- C'est intolérable. Vous n'avez pas à vérifier ce que j'ai approuvé.
Quand la vieille dame faiblissait, Marie répondait à sa place, ou bien s'emportait :
— Comment pouvez-vous supporter, ma mère, une audace pareille ? Elle ose douter de votre bonne foi...
Aussitôt, Anne-Louise répliquait. Le ton montait.
- N'avez-vous pas honte de vouloir m'ôter mon bien, vous, ma grand-mère, vous qui devriez me le conserver ? Je le vois, vous préférez mes sœurs, qui pourtant ne vous sont rien. Comme elles n'ont pas de biens du côté de leur mère, vous voulez prendre sur les miens et les leur donner.
- Taisez-vous, impertinente.
— Je ne me tairai pas. Vous me faites sentir combien je suis au-dessus d'elles, et combien ma famille tente d'asseoir sa fortune sur ce qu'elle peut attraper de moi. Vous ne me connaissez pas. Il aurait mieux valu me demander ces biens, les tenir de ma libéralité plutôt que de me les escroquer.
Un peu plus tard, mis au courant par la Guise, Gaston tempêta :
- Avec son erreur de calcul, cette péronnelle a trouvé le moyen de remettre en cause sa signature. Nous sommes tous venus ici pour rien. À cause de son entêtement. Qu'elle ne s'avise pas de vouloir remettre les pieds à Orléans. Je lui ferai fermer les portes de la ville.
Le mot courut. Jusqu'aux oreilles d'Anne-Louise.
— C'est trop injuste, se confia-t-elle à Béthune. Vouloirme fermer les portes d'Orléans. À moi qui les ai fait ouvrir pour lui, pour soutenir son parti, voici trois ans. Oui, trois ans jour pour jour. Nous sommes le 27 mars. Quelle coïncidence horrible !... Qui m'aurait dit alors que je reviendrais dans cette ville pour souffrir cette infamie, je ne l'aurais pas cru. Voilà donc la récompense d'un père.
Le matin suivant, quand Gaston repartit pour Blois, elle vint le saluer à la porte de son carrosse, mais ne put s'empêcher d'évoquer l'erreur de calcul dans la transaction.
— Une faute que l'on ne peut couvrir, Monsieur ! Elle peut d'ailleurs faire annuler les actes, susciter des milliers de procès pour les générations à venir...
- Défaites-vous de votre manie des procès, ma fille, ricana-t-il. Sinon vos gens vous feront plaider pour des places de bancs à l'église.
— Je n'aime point les procès, mon père. Et vous savez aussi bien que moi qu'il s'agit de millions, et non pas de places à l'église.
Elle avait eu le dernier mot mais elle se sentait très malheureuse.
En rentrant à Saint-Fargeau, le dernier jour du voyage, elle voulut, pour passer ses nerfs, descendre de son carrosse et chevaucher.
Le temps était couvert et chaud. Elle galopait dans un chemin fort sec. Tout à coup, le sol devint inégal. Des bestiaux l'avaient foulé quand il était mouillé. Il avait
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