Mademoiselle
malcommode.
Mais elle profita de la présence constante de Lauzun et de ses mille attentions, une chambre confortable chez un notable de village, ses bagages arrivés en temps utile, des chevaux frais pour son carrosse. Sa joie à le voir félicitépar Louis XIV pour sa conduite au siège de Lille ne connut pas de bornes.
Un soir, cependant, elle lui tomba dans les bras, bouleversée, les yeux rouges.
— Vous êtes le chef ce mon conseil, n'est-ce pas ? C'est le moment ou jamais de me le montrer. Je sors de chez mon cousin. Il vient de m'annoncer que l'on reparle de mon mariage avec le roi d'Angleterre. Vous vous rappelez qu'il s'est marié, un an après les fêtes de Saint-Jean-de-Luz, avec une princesse de Portugal ?
— Cela fait bien longtemps !
— Justement, lassé de n'avoir pas d'enfant, le roi veut se démarier et mettre son épouse au couvent. Il n'est de bruit en Angleterre que de son prochain mariage avec moi. En entendant la nouvelle, j'ai eu un tel saisissement que je me suis mise à pleurer sans pouvoir m'arrêter.
— Qu'avez-vous répondu à la fin ?
— Que je m'en remettais à la volonté de mon cousin. Il n'y a d'ailleurs rien d'autre à faire. Là-dessus, Mme de Montespan, l'une des maîtresses de Louis, la sœur de Mme de Thianges, vous savez ?...
— Certes. La belle Athénaïs qui fait, elle, tant de bâtards à notre roi...
— Passons. Donc la moqueuse me dit : « Oh, la jolie chose ! Le roi d'Angleterre a été si fort amoureux de vous. Vous l'épouseriez, vous écririez à notre roi, vous lui feriez des présents, des visites. » Autour de nous, les autres faisaient cercle. Je n'en pouvais plus de leurs sourires railleurs. Que savent-ils de moi ? Alors, pour justifier mes pleurs, j'ai crié, affolée, au roi : « La seule pensée de quitter Votre Majesté pour l'Angleterre me tire des larmes. » Et j'ai couru vers vous.
En un éclair, Lauzun vit le parti à tirer de la nouvelle. Patelin, il fit même semblant d'approuver le projet.
— En vérité, il faut vous marier avec le roi Charles. Vous êtes digne du trône d'Angleterre. Pour moi, quand vous aurez quitté le royaume, j'irai m'enterrer dans quelque ermitage. Sans vous, je ne supporterai plus le monde. Mais sachez que je préfère votre grandeur à tout.
Il pouvait se permettre de tels discours, se permettre de la pousser vers un autre, tant il la sentait attachée à lui. Et puis, les amusettes avec Charles, c'était du passé, et ce n'était rien. Lui, Lauzun, avait fait goûter à la princesse quadragénaire d'autres plaisirs, inespérés, inoubliables.
Délibérément, il l'évita autant qu'il le put, passant près d'elle sans la voir, ni lui répondre, relançant même la rumeur de son union avec Mlle de La Vallière dont il s'était moqué un temps avec elle.
Le résultat ne se fit pas attendre. Mise au pied du mur, elle comprit. Si elle restait célibataire, d'autres occasions viendraient de mariages arrangés, où son cousin voudrait disposer d'elle selon son intérêt de roi. Elle tenait passionnément à Lauzun, aux plaisirs qu'il lui avait révélés. Il ne serait plus à elle tant qu'elle ne serait pas toute à lui — sa femme.
Il fallait en finir. Lauzun continuait de jouer l'indifférent. Certains malveillants s'étonnaient de ne plus les voir ensemble et interrogeaient Mademoiselle. Leur complicité faisait donc jaser ?
Elle était sûre d'elle et ne pouvait imaginer d'autre mari que Lauzun. Elle devait le lui dire nettement puis demander au roi permission de conclure ce mariage.
L'énormité de la mésalliance ne lui échappait pas. Les gens, médisants et jaloux, la commenteraient sans fin. Assurément. Mais elle s'en moquait. Après tout, n'était-elle pas au-dessus des règles ordinaires de la bienséance, elle, la petite-fille d'Henri IV, la plus riche héritière d'Europe, la cousine germaine de Louis ?
Elle devait d'abord parler à Lauzun. Le jeudi 29 mai lui parut propice. La date de son anniversaire, de ses quarante-trois ans !
Énervée, elle le guetta toute la journée et, quand il quitta l'antichambre du roi, fort tard, elle s'avança vers lui. Masquant son trouble sous son air le plus impérieux, elle lui lança :
— Suivez-moi, monsieur le chef de mon conseil. Et sans résistance.
En vérité, il ne songeait guère à résister...
Ils s'isolèrent dans l'embrasure d'une fenêtre.
— J'ai songé à nos conversations, reprit-elle gravement. Je suis résolue à me
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