Mademoiselle
commença. Lauzun conduisit l'affaire avec une extrême lenteur pour ne pas effaroucher la demoiselle. Quand le roi le nomma capitaine de ses gardes, une nouvelle faveur, son service lui permit de ne pas quitter la cour. Mais il passait des mois, volontairement, sans paraître reconnaître la princesse, ni lui parler.
Il sut être patient, attentif sans flatterie, soigneux sans empressement. Surtout, il sut écouter Mademoiselle, gagner sa confiance et, sans rien révéler de lui-même, la mener à lui raconter son cœur. Elle avait tant besoin de s'épancher...
Ainsi, cet homme ambitieux, de sept ans plus jeune qu'elle, cadet de famille provinciale, calculateur froid et sans fortune, coureur de jupons, bref, cet homme qui n'était vraiment pas son genre, elle se mit à l'aimer.
Elle adorait se retirer seule dans sa chambre à échafauder des plans pour faire sa fortune et lui donner quelque élévation. Le voyant peu, elle eut envie de le voir davantage et fit de lui l'occupation ordinaire de ses pensées. Enfin, elle voulut lui plaire.
Jusqu'ici elle ne s'était guère préoccupée de sa beauté. On lui en faisait des compliments sans fin. Cela lui suffisait. Maintenant elle chercha à évaluer elle-même ce qu'il en était réellement, et fut épouvantée.
— Perrette, pourquoi ne pas m'avoir mise en garde ? Ces rides autour des yeux, ces lèvres desséchées, ces mains fripées... Vite, emploie-toi à réparer tout cela.
Pour satisfaire Mademoiselle, Perrette convoqua une armée d'apothicaires conduits par le disciple du célèbre parfumeur Fitelieu. Il fallait voir l'autorité de cette vieille femme, ratatinée comme une pomme, sur les bellâtres fiérots, porteurs de crèmes et d'onguents.
— Nous avons besoin de quelques boîtes de votre orviétan. Il est remède universel et redonnera jeunesse à ma maîtresse. Peu importe le prix, s'il contient des vipères sèches garnies de leur cœur et de leur foie. Ajoutez deux pierres de bézoard, trouvées dans l'estomac d'un loup. À tout hasard... N'oubliez pas les pommades aux pieds de mouton pour adoucir la peau.
— Vous aurez aussi, Madame, de la céruse, notre fameux blanc d'Espagne.
— N'est-il pas nocif ?
— Si vous l'absorbez, oui. C'est un poison, qui gâte aussi les dents et l'haleine. Mais, étalé sur les joues, il fait merveille pour effacer les rougeurs du teint.
— Comment le préparez-vous ? J'espère que ce n'est pas avec du plomb trempé dans du vinaigre.
— Assurément non. Notre recette est sans danger. Pendant dix jours, on dissout de l'étain dans de l'urine. On racle la crasse qui se forme, on la broie et on la cuit. On obtient la meilleure cire qui soit. Mais, chut, c'est un secret...
Par chance aux approches de la quarantaine, Anne-Louise avait conservé une allure élancée de cavalière, un port de tête altier. Cela lui permit de suivre les audaces de la mode, qui auraient engoncé d'autres femmes, plus rondes ou plus petites. Elle ne s'en priva pas. C'était plus facile que d'effacer des rides ou de masquer des cheveux gris. Il suffisait de jeter l'argent par les fenêtres.
Elle se procura les robes dernier cri, les trois jupes superposées aux noms galants, la modeste, la friponne et la secrète. Elle lança la mode des engageantes, des manches très courtes, qui ne dépassaient pas les coudes et se terminaient par un fouillis de dentelles. Et s'engoua pour des transparents de chenille veloutée, tissés comme des dentelles, qu'elle portait sur des habits de brocart d'or ou d'azur. Pour les bijoux, elle n'avait que l'embarras du choix, elle puisait dans les coffres de l'héritage Montpensier.
Lauzun suivait ses manèges de coquette amoureuse et se réjouissait à part lui. Le temps passait. Ses affaires avançaient.
Dans leurs entretiens, elle ne mentionnait jamais sa solitude de cœur. Par pudeur. Elle revenait sur son passé, ses déceptions, sa gloire inutile. Grâce à Corneille, son grand auteur, elle se risqua à évoquer ce qui la hantait, le mariage. Et s'enhardit un jour à lui confier :
— J'adore ces vers du Menteur. « Quand les ordresdu Ciel nous ont faits pour l'un pour l'autre, Lise, c'est un accord bien tôt fait que le nôtre... » J'ai copié la tirade entière et la relis souvent.
Il saisit la balle au bord :
— Songeriez-vous donc à vous marier ? À la cour on parle pour vous de tant de partis prestigieux, on fait encore tant de projets merveilleux..
— Je suis ravie qu'ils
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