Mademoiselle
d'Autriche fut à l'extrémité, elle fit venir tout près d'elle ses deux fils ainsi que Marie-Thérèse, et leur parla doucement, affectueusement. Brisée d'émotion, Anne-Louise, debout non loin du lit de sa tante, attendait d'être appelée par la malade. Elle patienta longtemps, bien après que le roi fut sorti.
Anne d'Autriche regarda sa nièce, mais aucun signe ne vint. Les mains décharnées, jadis orgueil de la souveraine, demeurèrent immobiles sur le drap. Elle aurait voulu l'étrangler, avait-elle avoué à Sedan. Elle n'avait rien oublié. Jusqu'au bout, la reine tint rigueur à Mademoiselle de son action à la porte Saint-Antoine.
Ce fut une réaction brutale.
— Les fils ne se contraignent plus, remarqua la Motteville. La reine rabattait trop leur impétuosité. Ils lâchent maintenant la bride à leurs plaisirs.
Ils avaient sincèrement aimé leur mère. Mais la rigidité morale d'Anne d'Autriche, accrue depuis qu'elle avait perdu Mazarin, sa soumission absolue à l'Église et surtout à l'intolérante compagnie du Saint-Sacrement, ses exigences en matière de mœurs, firent qu'en ce mois de janvier 1666 ils se sentirent libérés.
À vingt-cinq et vingt-sept ans, ils se laissèrent emporter par leurs caprices. Philippe commença d'afficher sans vergogne ses mignons. Louis, une semaine après la mort de sa mère, à la messe des funérailles, eut l'audace deplacer entre lui et Marie-Thérèse sa maîtresse, Louise de La Vallière.
Anne-Louise, si férue d'étiquette autrefois, ne s'en choqua pas. Au diable les règles, au diable même la morale ! Le climat était à la facilité, à la liberté. Le roi donnait l'exemple. Pourquoi n'en userait-elle pas elle aussi ?
Naturellement, Lauzun sut profiter de la situation. Avec délicatesse, il l'amena à admettre que les temps avaient changé, qu'elle était libre de disposer d'elle-même. Son chagrin, la blessure cruelle que sa tante lui avait infligée à ses derniers instants, Lauzun les tourna à son avantage. Il la laissa verser beaucoup de larmes et répéter, bouleversée :
— Pourquoi ne m'a-t-elle pas parlé, à moi ? Pourquoi m'a-t-elle encore rejetée ? Je ne le méritais pas. Je l'aimais tant.
À la fin, elle ne savait plus si elle pleurait sur la reine ou sur elle-même.
Alors, il la berça de douces paroles. La tendresse qu'elle avait désespérément cherchée dans les bras de sa mère d'adoption, elle pouvait à présent la trouver dans les bras d'un homme amoureux. Et plus vivante, plus présente, plus violente. Elle ne devait pas avoir de scrupules. Pourquoi se refuserait-elle la consolation d'une affection nouvelle quand d'autres... quand le roi lui-même ne gardait plus de retenue ?
La chasse avait été interminable, la proie fut vite dévorée. À la va-vite, dans une chambre anonyme de Saint-Germain. Lauzun fut habile et rapide. Il avait de l'expérience...
Anne-Louise n'eut pas le temps de retirer sa robe de brocatelle bleue. Une houle s'abattit sur elle, et bientôt unplaisir merveilleux qu'elle ne soupçonnait pas. Les vagues montaient à l'assaut comme autour du château d'If. Elles la submergeaient, la recouvraient, en un mouvement incessant. Elles rugissaient, elles gémissaient. Puis elles s'apaisaient, se taisaient.
Lauzun parti, elle resta brûlante, stupéfaite, émerveillée, ne songeant qu'à retrouver ces sensations inconnues qui l'avaient transportée.
En séducteur avisé, il la laissa languir. Il n'ignorait pas que la route serait longue jusqu'au mariage. Il dosa habilement leurs rencontres et ses froideurs calculées.
Par exemple, il refusait catégoriquement de se rendre chez elle, au Luxembourg. Anne-Louise rusait pour l'y faire venir :
— Vous écouterez mes violons... Vous constaterez la dernière méchanceté de ma belle-mère. Sous prétexte d'agir au nom de ses filles, elle a fait couper tous les arbres qui poussent du côté de leurs appartements. Le parc en est défiguré.
Un jour, en descendant de carrosse, elle fit le geste de s'appuyer sur lui, qui se trouvait là avec sa compagnie de gardes. Il se déroba et elle manqua tomber. Elle ne s'en offusqua pas. Elle vivait dans l'attente du plaisir.
Au printemps 1670, pendant la campagne de Flandre à laquelle elle participa avec la cour à la suite du roi, Anne-Louise fut aux anges. Le temps était pourtant exécrable, les pluies incessantes, les chevaux malades, la Sambre hors de son lit, l'itinéraire prévu par Louvois
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