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Marc-Aurèle

Marc-Aurèle

Titel: Marc-Aurèle Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Max Gallo
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prééminence. Et, à ces fins, elle s’était faite la prêtresse de cette nouvelle religion, de cette « superstition exécrable » dont elle se servait pour rassembler des partisans. Mais ces « frères et sœurs » n’étaient peut-être que des criminels, des corrompus, une vermine qui proliférait dans les replis du pouvoir impérial.
    Je me suis souvenu des accusations et des rumeurs qui les accablaient. À cet instant, elles me paraissaient légitimes.
    Peut-être en effet cette Marcia, capable de satisfaire toutes les perversités de Commode, de lui offrir des hommes à supplicier, organisait-elle avec les membres de sa secte le culte d’un dieu à tête d’âne ? Peut-être se repaissait-elle, avant les orgies, de la chair et du sang d’un enfant égorgé ? Peut-être œuvrait-elle au service des ennemis de l’Empire, les puissances de l’Orient, les Parthes ou bien les Juifs qui voulaient se venger de la destruction de leur Temple et prendre leur revanche sur l’empereur de Rome qui les avait vaincus et massacrés ?
    Mais j’étais citoyen de Rome. Je n’oubliais pas les recommandations et les leçons que Marc Aurèle avait dispensées alors même que son corps s’affaiblissait, que sa peau devenait grisâtre et fripée.
    Il m’avait dit :
    « À chaque heure, Priscus, applique-toi de tout ton soin, en romain et virilement, à faire ce que tu as sur les bras, avec une gravité adéquate et sincère. Il faut que ton corps se tienne ferme, sans se courber. Ce que la pensée réussit à faire du visage, qu’elle maintient harmonieux et noble, il faut aussi l’exiger du corps tout entier… L’art de vivre, Priscus, ressemble davantage à la lutte qu’à la danse ; contre les coups qui tombent à l’improviste il faut rester paré et bien d’aplomb. N’oublie jamais, Julius Priscus, que tu es romain ! »
     
    J’ai longuement fixé Sélos. Il avait acquis les droits d’un citoyen romain, mais non l’esprit.
    Je l’ai forcé à baisser les yeux.
    — Tu es donc toi aussi de cette secte !, ai-je murmuré. Tu as voulu retrouver les tiens, oublier que je t’ai affranchi, arraché à la condition servile, et tu pries le Dieu des esclaves !
    Il s’est agenouillé devant moi, m’a pris la main.
    — Maître, Christos est le Dieu de tous les hommes vertueux. Toi-même, tu es si proche de Lui…
    J’ai retiré ma main d’un mouvement brusque.
    — Connais-tu ce Grec, appelé Eclectos, ce chrétien ?
    Sélos s’est remis à parler avec exaltation. Eclectos, dit-il, était l’un des premiers disciples de Christos. Il avait parcouru tout l’Empire, créant partout des églises. Il avait guidé vers Christos des centaines d’hommes et de femmes qui étaient devenus des frères et des sœurs.
    — Il convertit à la foi en Christos tous ceux auxquels il parle.
    À nouveau, Sélos m’a agrippé la main.
    — Je l’ai vu, Maître. Il m’a parlé et, de ce jour, j’ai reconnu Christos comme mon Dieu.
    Je l’ai repoussé avec brutalité.
    — Ce Grec, cet astrologue, ce magicien m’attend à Capoue, ai-je marmonné. S’il ose me parler, je le jette aux fauves !

 
     
5
    Il m’attendait.
    J’ai vu sa blanche silhouette s’avancer vers moi entre les colonnes de porphyre du portique de ma demeure de Capoue. Il s’est arrêté à quelques pas, a levé ses mains. Ses doigts étaient longs et osseux. Les manches de sa tunique, trop ample pour ce corps maigre, ont glissé et j’ai aperçu ses avant-bras décharnés.
    Son visage était émacié, encadré par des cheveux gris dont les mèches se mêlaient à sa barbe. Il avait les yeux enfoncés, le regard fixe.
    — Je te reconnais, Julius Priscus, m’a-t-il dit. Tu étais à Lugdunum quand mes frères et mes sœurs ont été emprisonnés. As-tu assisté à leur supplice ?
    Il a fermé les yeux, baissé la tête.
    — Même si tu étais assis sur les gradins de l’amphithéâtre, tu n’as pas pu les voir, tu n’as pas entendu leurs cris, leurs chants, leurs prières. Tu étais aveugle et sourd.
    Il a redressé la tête, rouvert les yeux.
    — Je suis ici pour te rendre la vue et l’ouïe.
    J’aurais voulu lui répondre, le menacer, ordonner qu’on se saisisse de lui, qu’on le fouette et jette dehors son corps brisé, sanguinolent, afin que les chiens l’achèvent en le dépeçant.
    Mais je me suis tu, incapable de proférer un mot.
    — Dieu n’a pas voulu de moi, a-t-il repris. Il m’a laissé dans ce

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