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Marc-Aurèle

Marc-Aurèle

Titel: Marc-Aurèle Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Max Gallo
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faire de Doma la chrétienne ?
    Je pouvais la dénoncer, la livrer en compagnie de cet Eclectos qui avait dû la convertir. Les autres esclaves, Sélos le premier, auraient à nouveau craint ma puissance alors que, sans doute, ils chuchotaient déjà entre eux, répétant que le Maître s’était agenouillé devant Doma, que la jeune chrétienne avait prié pour lui, qu’elle lui avait fait reconnaître la force de Christos, qu’elle le possédait, donc.
     
    J’ai crié.
    Les esclaves se sont précipités dans la chambre. Il m’a semblé qu’ils se montraient plus empressés qu’à l’habitude, presque joyeux, comme s’ils jouaient à me servir, laissant ainsi entendre qu’ils ne me craignaient plus, qu’ils agissaient avec l’entrain d’hommes libres, me lançant des regards qui me paraissaient ironiques, pleins de défi.
    J’ai saisi l’un d’eux par le cou et l’ai serré à la saignée de mon bras. Il ne s’est pas débattu et sa passivité, sa soumission, son silence ont déchaîné ma colère. J’aurais voulu qu’il demandât grâce, mais il a persisté à se taire.
    Je l’ai contraint, alors qu’il suffoquait, à s’agenouiller, et je ne l’ai plus lâché.
    Brusquement, alors que j’étais penché sur lui, que je l’insultais, je me suis souvenu de l’empereur Commode étranglant ainsi dans la pénombre de son palais deux de ses prostitués.
    J’ai rouvert mon bras. L’esclave s’est affaissé.
    J’ai hurlé :
    « Lève-toi, va-t-en ! Sortez tous ! »
    Ses compagnons l’ont soulevé. Il titubait, la tête ballante.
    J’ai fermé les yeux.
    Qu’étais-je devenu, moi qui voulais m’inspirer de la sagesse de l’empereur-philosophe, de mon maître Marc Aurèle ? Moi qui avais répété ses pensées jusqu’à les faire miennes ?
    J’ai murmuré :
    « Qu’est donc mon âme raisonnable ? Que fais-je d’elle actuellement ? À quoi me sert-elle en ce moment ? N’est-elle pas vide de pensées ? Ne s’est-elle pas affranchie et séparée de la société ? N’est-elle pas fondue et mélangée dans la chair, qu’elle en subit les changements ? »
    J’étais comme un homme ivre qui ne sait où s’appuyer, roulant comme un navire au gré des vagues. J’en avais la nausée. Mais c’était moi-même que j’aurais voulu vomir.
     
    Je suis sorti de la chambre.
    J’ai marché dans la lumière blanche du soleil qui avait inondé la cour intérieure.
    Sur le muret, assis entre deux colonnes de porphyre, j’ai aperçu Eclectos. Il avait posé ses deux mains sur la tête de Doma. Elle appuyait son front contre les genoux du vieil homme.
    Il a tourné le visage vers moi. J’ai vu ses lèvres murmurer quelques mots. Sans doute a-t-il averti Doma de ma présence.
    Elle s’est levée, m’a regardé, puis a baissé la tête. Il m’a semblé qu’elle me souriait avec bienveillance, tendresse, et j’ai été tenté de m’élancer vers elle, de l’enlacer, de solliciter son pardon, de lui exprimer ma gratitude. Mais je l’ai laissée s’éloigner.
    J’étais un navire démâté dont le gouvernail et les rames sont brisées.
    Je me suis approché d’Eclectos.
    J’aurais pu le secouer en le prenant par les épaules, le déraciner comme un vieux tronc gris, le faire jeter au feu parce que ce chrétien prêchait la rébellion, avait corrompu mes esclaves, qu’il était le complice de Hyacinthe et de Marcia, la putain de Commode.
    Dans le même temps, je sentais monter en moi le désir d’imiter Doma, de m’agenouiller devant Eclectos, de lui confier ce que je ressentais, de lui décrire cette nausée que j’éprouvais, ce balancement entre fureur, désir de contraindre et de tuer, et besoin de trouver la quiétude, l’apaisement. J’avais l’intuition que s’approchait le moment où je devrais choisir entre ces deux parties de moi, ces deux appels entre lesquels j’étais écartelé.
     
    Eclectos m’a fait signe de m’asseoir à ses côtés sur le muret.
    « Il n’est pas facile, Julius Priscus, de rejeter l’animal hors de soi », a-t-il murmuré.
    Il a posé sa main aux longs doigts osseux sur ma cuisse.
    « Je sais que tu as commencé à le faire, cette nuit. » J’ai senti la pression de sa main. « Tu as renoncé à la chair. Tu te crois affaibli alors que tu es devenu plus fort. »
    Il a fermé les yeux, et, au bout d’un long silence, a ajouté :
    « Christos, notre Dieu, l’Éternel, l’Unique, a renoncé à la guerre des corps

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