Marc-Aurèle
arrêté au bord de la clairière, entre les arbres.
Eclectos a tendu son bâton vers les croyants qui, bras entrelacés, formaient cercle.
« Viens parmi nous, a murmuré Eclectos. Accepte les mains qui s’offrent à toi. »
J’ai reculé, heurté le tronc d’un des cyprès.
Eclectos m’a regardé, le visage d’abord sévère, puis il m’a souri.
« Un jour prochain, tu entreras dans notre assemblée. Tu seras dans le cercle parmi nos frères et nos sœurs. »
Il a fait un pas, m’a serré contre lui et embrassé.
« Je prie pour toi, Priscus », a-t-il murmuré.
CINQUIÈME PARTIE
28
Je me suis éloigné de cette clairière où se réunissaient les adeptes de l’Église chrétienne.
J’ai d’abord marché vite, tête baissée, pour fuir le désir, que je sentais monter en moi, de joindre ma voix à leurs prières.
Puis, quand je n’ai plus entendu que le murmure de la brise froissant les branches des lauriers et des oliviers, j’ai eu la tentation de revenir sur mes pas, de courir, même, vers ces bras qui se seraient ouverts, ces corps que j’aurais embrassés, cette chaleur qui aurait chassé le froid qui me faisait frissonner.
J’étais seul. La nuit gagnait inexorablement.
Il m’a semblé que mon corps oscillait, que j’allais chanceler, tomber bras en croix, serrer contre moi la terre, implorer ce Dieu nouveau, Christos, ce Seigneur tout-puissant et miséricordieux, ainsi que le nommait Eclectos.
Je savais qu’il donnait la force d’affronter le supplice, de supporter sans un cri la souffrance, de choisir la mort afin de Le rejoindre et de se fondre en Lui.
J’ai cru plusieurs fois que j’allais succomber.
Et pourtant j’ai repris ma marche vers ma demeure.
C’était comme si, au moment de céder, l’orgueil en moi s’était rebellé.
N’avais-je tant vécu, moi, Julius Priscus, qui avait côtoyé sa vie durant Marc Aurèle, qui avait recueilli ses propos, lu, relu, médité son livre de sagesse, ses pensées, devais-je me conduire comme mes esclaves, mes affranchis, ces femmes, ces vieux, héroïques seulement parce qu’ils croyaient en la résurrection ?
Mon corps s’était cambré comme s’il avait été fouetté.
Je retrouvais les mots de Marc Aurèle :
« L’homme doit vivre selon la nature pendant le peu de jours qui lui sont donnés sur terre, et quand le moment de la retraite est venu, se soumettre avec douceur, comme une olive qui, en tombant, bénit l’arbre qui l’a produite et rend grâce au rameau qui l’a portée. »
Avec une détermination nouvelle, j’ai martelé les dalles qui recouvraient l’allée à proximité de ma demeure.
« Au-dedans de toi, avait encore dit Marc Aurèle, sois un être viril, mûri par l’âge, ami du bien public, un Romain, un empereur, un soldat à son poste attendant le signal de la trompette, prêt à quitter la vie sans regret. »
J’étais un Romain.
Je n’allais pas renoncer à ce courage lucide que j’avais tant admiré chez Marc Aurèle et que je m’étais promis d’essayer d’égaler.
La proximité de la mort ne pouvait m’y faire renoncer.
Je devais refuser de m’enfouir dans cette douceur chrétienne, cette consolation qu’elle apportait à ceux qui croyaient en Christos. Il fallait accepter son sort et ne pas se griser d’illusions ni de superstitions.
« Tout ce qui t’arrange, m’arrange, ô Cosmos ! Rien ne m’est prématuré ni tardif de ce qui, pour toi, vient à l’heure. Je fais mon fruit de ce que portent tes saisons, ô Nature ! De toi vient tout ; en toi est tout ; vers toi va tout. »
Je suis entré dans la bibliothèque et ai ordonné aux esclaves d’allumer toutes les lampes.
J’ai placé devant moi sur l’écritoire les Pensées de Marc Aurèle.
« Ô homme, tu as été citoyen dans la grande cité », ai-je commencé à lire.
Chacun de ces mots s’adressait à moi. Je retrouvais la voix un peu voilée de l’empereur :
« Que t’importe d’avoir été citoyen pendant cinq ou pendant trois années ? Ce qui est conforme aux lois n’est injuste pour personne. Qu’y a-t-il donc de si fâcheux d’être renvoyé de la cité non par un tyran, par un juge inique, mais par la nature même qui t’y a fait entrer ? C’est comme si un comédien est congédié du théâtre par le même prêteur qui l’y a engagé. Mais, diras-tu, "Je n’ai pas joué les cinq actes, je n’en ai joué que trois." Tu dis
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