Marc-Aurèle
rassemblent autour de nous, à Rome, ici dans ta demeure, et à Capoue, ou à Lugdunum. Tout comme il nourrit encore les chrétiens d’Asie qui viennent se recueillir sur les pentes du mont Pagus, face à la mer, là où se trouve le stade dans lequel lui et les autres chrétiens ont connu le martyre… »
Eclectos s’est levé et a conclu :
« Comment peux-tu imaginer que mon âme soit un jour percée par le clou du doute ? »
26
Mon âme, elle, demeurait la proie du doute.
Je restais sur le bord de la foi chrétienne sans oser m’enfoncer en elle.
Je lisais dans la bibliothèque à la lumière des lampes qui brûlaient jour et nuit. La fumée des mèches qui se consumaient s’accumulait dans cette petite pièce, créant une sorte de halo, presque de brume, qui convenait à mon humeur incertaine.
J’avais pourtant l’intuition que si je m’étais abandonné à la croyance, immergé dans la foi, j’aurais connu la paix, la joie, ce bonheur des certitudes que je lisais chaque jour sur les visages d’Eclectos, de Doma et de Sélos, ou sur ceux de ces esclaves anonymes dont le regard illuminé me faisait penser qu’ils étaient chrétiens, convertis par la parole d’Eclectos.
Mais je refusais cette adhésion, ce baptême.
Je me plongeais dans les livres de Celse, un philosophe ami de Lucien.
J’éprouvais une amère délectation à répéter les propos qu’il prêtait aux chrétiens :
« Quiconque est sans intelligence, quiconque est faible d’esprit, en un mot quiconque est misérable, qu’il approche : le royaume de Dieu est pour lui ! »
Je n’étais ni esclave ni affranchi, encore moins dupe pour rejoindre ce troupeau de croyants, celui des disciples de Christos.
Celse ajoutait :
« Quel homme de jugement peut se laisser prendre à une doctrine aussi ridicule ? Il suffit de regarder la foule qui l’embrasse pour la mépriser. Leurs maîtres ne cherchent et ne trouvent pour disciples que des hommes sans intelligence et d’un esprit épais. Ils s’efforcent de rendre la conscience suspecte, la sagesse coupable. Ces maîtres qui prêchent au nom de Christos déclarent : "Les sages repoussent notre enseignement, égarés et empêchés qu’ils sont par leur sagesse." »
Je partageais les conclusions de Celse qui accablaient les chrétiens : « On dirait des gens ivres qui, entre eux, accuseraient les hommes sobres d’être pris de vin, ou des myopes qui voudraient persuader des myopes comme eux que ceux qui ont de bons yeux n’y voient goutte ! »
Il me semblait qu’entre Celse, Lucien et Marc Aurèle, une alliance se nouait en moi, à laquelle j’associais Épictète. Marc Aurèle estimait cet ancien esclave phrygien affranchi, devenu philosophe, secrétaire d’un proche de Néron, puis chassé de Rome par Domitien, le « Néron chauve ». Les propos de ces auteurs dessinaient une sagesse qui valait bien les autres croyances et la foi en Christos.
Épictète osait regarder la mort en face et il me semblait d’autant plus héroïque qu’il n’invoquait jamais, pour l’affronter et l’accepter, la résurrection, cette grande espérance qui faisait briller les yeux des chrétiens et leur permettait de supporter les supplices, de se précipiter dans la souffrance comme si leur croyance les y rendait insensibles.
Épictète écrivait :
« Y a-t-il une autre fin que la mort ? As-tu bien dans l’esprit que le principe de tous les maux, pour l’homme, de la bassesse, de la lâcheté, ce n’est pas la mort, mais plutôt la crainte de la mort ? Exerce-toi contre elle ; qu’à cela tendent toutes tes paroles, tes études, tes lectures, et tu sauras que c’est le seul moyen, pour les hommes, de devenir libres. »
Ces lectures m’exaltaient.
Ce faisant, je ne m’éloignais pas seulement de Christos, mais aussi de ces naïfs que dupaient les magiciens, les devins, tous ces imposteurs.
Je me moquais avec Lucien de ces habitants de Cappadoce, bientôt rejoints par des milliers d’autres venus de la Phrygie voisine, de la Cilicie ou de la Syrie, qui avaient cru qu’un charlatan du nom d’Alexandre, installé dans la ville d’Abonotique, était un nouveau dieu. Ils avaient écouté ses oracles, s’étaient prosternés devant lui qui avait enroulé autour de sa poitrine et de son cou un serpent apprivoisé, et avait caché son visage sous un masque de toile peinte représentant la gueule énorme d’un reptile.
Telle était donc
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