Marc-Aurèle
loin du mur que l’empereur Hadrien avait fait élever afin de protéger les provinces de l’Empire, allaient sans doute se remettre en marche.
« Les Parthes vont essayer de franchir la frontière d’Arménie parce que la mort a vaincu Antonin le Pieux.
— Nous ferons la guerre et je serai à la tête des légions », a répondu Marc Aurèle.
Poilus Maximus lui a pris les mains et, s’agenouillant, les a embrassées.
L’empereur a contraint le tribun à se relever, puis a quitté la pièce.
Aujourd’hui je sais ce qu’il a pensé en devenant empereur du genre humain, en annonçant d’ores et déjà qu’il conduirait la guerre, lui qui s’était toujours montré homme d’études et de méditation, qui n’avait jamais été attiré par les combats, manifestant son mépris pour les jeux de l’arène, contraint de les laisser se poursuivre et même d’y assister, mais détournant la tête pour ne pas voir les égorgements, et refusant souvent de les ordonner.
J’ai devant moi la page qu’il a écrite en ce septième jour de mars.
« L’empereur Marc Aurèle à lui-même », l’intitule-t-il.
« Prends garde de te césariser, de perdre ce qui est ta couleur. Conserve-toi simple, bon, pur, grave, ennemi du faste, ami de la justice, religieux, bienveillant, humain, ferme dans la pratique des devoirs. Concentre tous tes efforts pour demeurer tel que la philosophie a voulu te rendre. Révère les dieux, veille à la conservation des hommes.
« La vie est courte. Le seul fruit de la vie terrestre, c’est de maintenir son âme dans la disposition de faire des actions utiles à la société.
« Agis toujours comme un disciple d’Antonin, rappelle-toi sa constance dans l’accomplissement des prescriptions de la raison, l’égalité de son humeur dans toutes les situations, la sérénité de son visage, sa douceur extrême, son mépris pour la vaine gloire, son application à pénétrer le sens des choses ; comment il ne laissa jamais rien passer avant de l’avoir bien examiné, bien compris ; comment il acceptait les reproches injustes sans récriminer ; comment il ne faisait rien avec précipitation ; comment il n’écoutait pas les délateurs ; comment il étudiait avec soin les caractères et les actions, ni médisant, ni méticuleux, ni soupçonneux, ni sophiste, se contentant de si peu dans l’habitation, le coucher, les vêtements, la nourriture, le service, laborieux, patient, sobre, à ce point qu’il pouvait s’occuper jusqu’au soir de la même affaire sans avoir besoin de sortir pour ses nécessités, sinon à l’heure accoutumée.
« En cette amitié toujours constante, égale, et cette bonté à supporter la contradiction, et cette joie à recevoir un avis meilleur que le sien, et cette piété sans superstition !
« Pense à cela pour que ta dernière heure te trouve, comme lui, avec la conscience du bien accompli. »
Le temps, ma vie aveugle, avaient passé depuis ce septième jour de mars où Marc Aurèle était devenu empereur.
Ces phrases que je découvrais, il m’a semblé qu’elles auraient pu être prononcées par Eclectos le chrétien.
Et cependant, je le savais, Marc Aurèle avait été un persécuteur.
Je voulais comprendre pourquoi.
J’écrivis pour découvrir ce que j’avais ignoré et dont j’avais pourtant été le témoin, peut-être le complice.
30
Du passé j’ai fait mon présent.
Seul dans ma bibliothèque au milieu des livres et des feuillets de manuscrits épars, j’ai entendu la voix de Marc Aurèle.
C’était au lendemain de la mort d’Antonin le Pieux.
Les pas des prétoriens de la Garde impériale martelaient déjà les dalles de marbre devant la porte de la chambre.
Marc Aurèle était assis en face de la statue d’or de la Fortune.
Il a tourné vers moi son visage serein mais d’une pâleur extrême :
« Je dois agir, parler et penser comme si, dès maintenant, je pouvais cesser de vivre, a-t-il dit. Comme si chacun des actes que je vais, que je dois accomplir, était le dernier de ma vie. »
Il s’est levé, s’est mis à arpenter la chambre sans quitter des yeux la statue dont l’or reflétait les flammes des lampes.
« Je sais ce que mon père adoptif, ma mère, ma famille et les maîtres que j’ai eus m’ont appris… »
Je l’ai écouté dresser la liste de ce que chacun de ses proches lui avait légué.
Il s’interrompait après chacune des qualités qu’on avait
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