Marc-Aurèle
la crédulité des hommes, des plus hauts magistrats romains, légat de Cappadoce et consul, venus eux aussi adorer l’imposteur. Et celui-ci avait suscité la persécution de ceux des citoyens qui refusaient de croire à sa divinité.
Et ceux-là étaient aussi bien athées, juifs, que chrétiens.
Mais ces derniers n’étaient-ils pas eux aussi des naïfs, victimes d’un imposteur, d’un magicien qui avait accompli ses miracles en utilisant des tours et sciences secrètes qu’il avait appris en Égypte ? Et sa mère, qu’était-elle d’autre qu’une femme ayant commis l’adultère avec un soldat, et que son mari charpentier avait chassée ?
Je lisais ces phrases de Celse, troublé, inquiet et en même temps grisé comme on peut l’être après avoir abusé d’un alcool. Il osait se moquer du Dieu unique :
« Juifs et chrétiens me font l’effet d’une troupe de chauves-souris ou de fourmis sortant de leur trou, ou de grenouilles établies près d’un marais, ou de vers tenant séance dans les coins d’un bourbier. Ils se disaient entre eux : "C’est à nous que Dieu révèle et avance toute chose ; Il n’a aucun souci du reste du monde ; Il laisse les Cieux et la Terre rouler à leur guise pour ne s’occuper que de nous. Nous sommes les seuls êtres avec lesquels Il communique par des messagers, les seuls avec lesquels Il désire s’associer, car Il nous a faits semblables à Lui. Tout nous est subordonné, la terre, l’eau, l’air et les astres, tout a été fait pour nous et destiné à notre service, et c’est parce qu’il est arrivé à certains d’entre nous de pécher que Dieu Lui-même viendra ou enverra Son propre fils pour brûler les méchants et nous faire jouir avec Lui de la Vie éternelle." »
Je ricanais, j’approuvais.
Celse contestait la résurrection, interpellait les chrétiens :
« Il faudrait peut-être examiner d’abord si jamais homme réellement mort est ressuscité avec le même corps ! Pourquoi traiter les aventures des autres de fables sans vraisemblance, comme si l’issue de votre tragédie avait bien meilleur air et était plus croyable, avec le cri que votre Christos jeta du haut du poteau en expirant, le tremblement de terre et les ténèbres ? Vivant, il n’avait rien pu faire pour lui-même ; mort, dites-vous, il ressuscita… De son vivant, il se prodigue ; mort, il ne se fait voir en cachette qu’à une femmelette et à ses comparses. Son supplice a eu d’innombrables témoins, sa résurrection n’en a eu qu’un seul. C’est le contraire qui aurait dû avoir lieu…
« Vous vous donnez pour Dieu un personnage qui a fini par une mort misérable une vie infâme ! »
J’ai frissonné en lisant cette dernière phrase.
J’avais le sentiment qu’elle me souillait et appelait sur moi la vengeance de Christos.
J’ai eu froid. Ma peau s’est hérissée, mes yeux se sont brouillés. Il me semblait ainsi que je trahissais Eclectos, Doma, Sélos, tous les chrétiens qui vivaient dans ma demeure et qui croyaient à ma bienveillance.
Je les abandonnais. Je me comportais comme un accusateur, un délateur, l’allié de Celse qui m’apparaissait tout à coup plein d’une morgue cruelle et méprisante.
Il disait aux Juifs et aux chrétiens : « Vous ne prétendez sans doute pas que les Romains abandonnent leurs divinités pour embrasser votre croyance en votre Dieu unique ? Votre Dieu n’a pas su défendre ceux qui croient en Lui ! Les Juifs ne possèdent plus une motte de terre et vous, chrétiens, traqués de toutes parts, errants, vagabonds, réduits à un petit nombre, on vous cherche pour en finir avec vous ! »
Il menaçait, souhaitait des persécutions plus sauvages encore :
« Un pouvoir éclairé et plus prévoyant vous détruira de fond en comble plutôt que de périr lui-même. »
J’ai compris que cette violence dissimulait sa peur quand j’ai lu l’appel qu’il avait lancé à ces croyants dont il s’était moqué, qu’il avait méprisé, menacé.
Brusquement, il leur demandait de demeurer fidèles à l’Empire. Il décrivait Rome menacée par les peuples barbares, contrainte d’enrôler dans ses légions des gladiateurs et des esclaves. Il s’écriait :
« Chrétiens, soutenez l’empereur de toutes vos forces, partagez avec lui la défense du droit, combattez pour lui si les circonstances l’exigent, aidez-le dans le commandement de ses armées ! Pour cela, cessez de vous
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