Marc-Aurèle
dérober aux devoirs civils et au service militaire, prenez votre part des fonctions publiques, s’il le faut, pour le salut et la cause de la piété ! »
J’ai relu plusieurs fois cet appel au secours.
C’était comme l’écho des propos que m’avait tenus Eclectos lorsqu’il avait prédit qu’un jour, après tant de princes persécuteurs et monstrueux, après les règnes de l’Antéchrist et de la Bête, un empereur s’avancerait sur le chemin de la foi en un Dieu unique.
Rome serait alors devenue le cœur d’un Empire chrétien.
27
J’ai fermé les livres et marché aux côtés d’Eclectos le chrétien.
À chaque pas il plantait fermement son bâton dans la terre. Il s’immobilisait souvent, se tournait vers moi, m’écoutait, les yeux mi-clos. Je lui rapportais ce que j’avais lu.
Il m’a dit :
« Viendra le temps d’un Empire chrétien, mais la route sera encore longue, et elle sera bordée par les croix des suppliciés, les tombeaux des martyrs… »
Il a fait encore quelques pas le long de cette allée qui conduisait à la clairière aux sept cyprès, à l’extrémité du jardin de ma demeure.
J’ai aperçu le petit groupe des croyants qui, rassemblés autour de Doma et de Sélos, l’attendaient. C’est là qu’il prêchait chaque jour.
Tout à coup, il a levé son bâton, l’a secoué comme s’il voulait frapper quelqu’un qui se serait trouvé devant lui.
« Il n’est pas d’autre chemin que le martyre, a-t-il martelé. C’est la souffrance et le sang de nos frères et sœurs qui contraindront l’empereur a reconnaître notre foi, car le sang de chaque supplicié fait lever une moisson de nouveaux chrétiens ! »
Il s’est tourné vers moi, son bâton toujours brandi. Après le martyre de Polycarpe, m’a-t-il dit, les conversions s’étaient multipliées dans toutes les provinces d’Asie, en Syrie, en Galilée et jusqu’à Alexandrie. Le courage de Polycarpe avait frappé tant de païens qu’ils voulaient tous recevoir le baptême. Les légats impériaux et les proconsuls avaient ordonné l’arrêt des supplices afin d’endiguer ce flot. Durant quelques mois, les chrétiens avaient pu vivre dans la paix de leur foi.
Penché vers moi, du bout de son bâton, Eclectos m’a touché l’épaule.
« Mais, Julius Priscus, tu ne peux pas connaître cela. Tu n’as pas chassé les démons qui t’habitent. Tu refuses l’eau pure du baptême. Tu te complais dans le marécage. Tu te vautres dans les mensonges et les imprécations de Celse et de Lucien, ou la grise et pauvre sagesse d’Épictète et de ton Marc Aurèle. Tu admires cet empereur, tu t’abreuves de ses pensées courtes. Pense aux chrétiens de Lugdunum qu’il a envoyés aux bêtes ! Ose te souvenir ! Et sache qu’aucun empereur ne viendra de lui-même vers Christos, et donc vers la vérité. Il continuera d’honorer les divinités de Rome. Il créera même de nouveaux dieux au gré de ses penchants. Car l’empereur imagine qu’il a le pouvoir de donner naissance à des dieux. »
Il a frappé à petits coups de bâton sur mon épaule. « J’ai vu cela. Hadrien, l’un des plus mesurés parmi les empereurs, quand son favori Antinous s’est noyé dans le Nil, a décidé que ce jeune Bithynien qui lui avait donné tous les plaisirs de la chair prendrait rang parmi les dieux. Et il a fait construire au bord du fleuve un temple pour honorer son amant. Le culte d’Antinous y est encore célébré, et une ville est née autour de cet édifice. Veux-tu que nous, disciples de Christos le Crucifié, le Ressuscité, nous nous y inclinions, nous priions Antinous, cet homme divinisé, cette idole née de la passion charnelle et donc dans le lit de l’empereur Hadrien ? »
Eclectos s’est remis à marcher et j’entendais déjà le murmure des prières qui s’élevait dans la clairière aux sept cyprès.
« N’oublie jamais, Priscus, a-t-il repris, que l’empereur, même celui qui te semblera le plus sage, essaiera d’abord de tuer ceux qui ne le reconnaîtront pas pour Dieu. Et nous serons ceux-là. La persécution nous frappera donc jusqu’à ce que l’empereur découvre qu’il ne pourra ni anéantir, ni pervertir la foule des croyants. Alors seulement il se tournera vers Dieu et écoutera Sa parole. Ainsi Dieu l’avertira : "Arrache Rome aux pires destins, sinon l’épée et le désastre tomberont sur toi !" Et l’Empereur se convertira. »
Je me suis
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