Marc-Aurèle
d’Ignace d’Antioche et de Polycarpe de Smyrne. Il m’a fait connaître l’Apologie du christianisme , de Justin.
Ce que m’a confié Eclectos éclaire d’autant mieux ce que j’ai vécu.
Je m’enfonce dans ma mémoire, j’y creuse des galeries. Je remonte au jour des noms et des visages.
Des chrétiens, j’en découvre jusque dans l’entourage de Marc Aurèle.
Non pas seulement la concubine d’Ummidius Quadratus, le neveu même de Marc Aurèle, cette jeune esclave, Marcia, devenue aujourd’hui l’une des favorites de Commode. Je l’ai rencontrée et je n’ignore pas qu’elle veut tuer ce fils monstrueux d’un prince philosophe. Auprès d’elle, il y a ce Hyacinthe, chrétien lui aussi, qui tisse les fils du complot.
Ceux-là ont survécu. Ils ne recherchent pas la mort du martyr, mais rêvent d’empoisonner ou de poignarder Commode. Et de survivre.
Non, je pense par exemple à Proxénès, cet esclave maigre aux yeux fixes, qui se tenait toujours à quelques pas de Marc Aurèle, l’aidant à revêtir ou à ôter sa tunique.
Je revois les gestes précis de cet homme jeune au visage impassible, remplissant un verre d’eau pour l’empereur.
Dans la salle d’audience, il se tenait dans la pénombre, bras croisés, ne semblant pas même entendre les propos qui s’échangeaient.
Crescens disait : « Ce sont des infâmes, une secte d’esclaves faite pour les femmes ! »
Fronton renchérissait : « L’un d’eux, Montanus, encore un Phrygien, prétend que leurs femmes répandent la parole de ce Christos, qu’elles en sont les meilleures messagères, qu’elles en recouvrent l’inspiration. »
Il s’était esclaffé, ajoutant que ce Montanus voulait des femmes pieuses, qui ne trouvent leur plaisir que dans la foi en Christos, jamais dans un lit ! Selon ces fous, la femme chaste était la plus belle chose au monde, le plus parfait souvenir de la Création primitive de Dieu, et la femme pieuse, l’ornement, le parfum et l’exemple de l’Église. Elle aidait les chastes à être chastes.
Fronton avait ricané. Il comprenait que les chrétiens voulussent au plus vite quitter cette vie ! Puis il s’était exclamé :
« Ces gens-là ne peuvent être des citoyens de Rome. Ils ne possèdent aucune des vertus et ne connaissent aucun des plaisirs du Romain. Le chrétien n’est qu’un humilior , un infâme qui doit être puni par la croix, les bêtes, le feu, les verges ! »
Fronton avait écarté les bras comme pour dessiner une croix et avait conclu :
« Jamais aucun d’eux n’a ressuscité ! Leur Christos n’était qu’un magicien juif, mort sur la croix comme n’importe quel condamné, mais dont des imposteurs ont prétendu qu’il avait ressuscité. Ils se sont emparés ainsi des âmes efféminées et serviles. Mais quel homme peut croire à de telles superstitions ?
Je me souviens de la voix forte, calme, surgie de la pénombre, qui avait alors scandé :
« Je suis chrétien, je crois en Christos, Père, Fils, Esprit, Dieu unique, mort et ressuscité ! »
Je revois Proxénès qui s’avance dans la lumière, s’immobilise au centre de la salle d’audience et répète :
« Je suis chrétien ! »
J’entends le pas des prétoriens qui s’élancent, se saisissent de lui, lui tordent les bras, pèsent sur sa nuque et ses épaules, le forcent à marcher courbé, l’entraînent dans l’ombre.
Je ne me suis pas enquis du sort de Proxénès.
Je ne l’ai pas même imaginé.
Proxénès, jusqu’à ce jour, était comme enseveli en moi.
Mais le souvenir aussi est résurrection.
38
Les ressuscités de ma mémoire s’avancent à présent vers moi.
Derrière Justin et Proxénès, je vois cette foule de peuples barbares qui, en Norique, en Pannonie, en Dacie, sur les berges du Danube ou des fleuves d’Illyrie, poussent leurs cris de guerre.
Quels sont les dieux de ces hommes qui se précipitent dans la mort sans plus de crainte que Justin ou Proxénès ? Croient-ils en la résurrection ? Ils combattent comme s’ils étaient immortels, avec une sorte de joie sauvage, indifférents aux blessures, se servant parfois de leurs femmes et de leurs enfants comme de boucliers ! Quelle est leur foi ? Ils ignorent Christos et les dieux de Rome ?
Ils sont innombrables, d’une taille et d’une force herculéennes. Certains sont nus, le corps enduit de graisse de sanglier ou d’ours.
Nos légions reculent.
J’ai déjà évoqué ces
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