Marco Polo
événements qui ont eu lieu ici. On est en train de rédiger la missive
que tu auras à lui remettre et qui explique le rôle joué par le ministre Pao,
tout en suggérant quelques mesures à prendre, à présent que les Yi ne possèdent
plus d’allié dans la place. Donne cette lettre à Bayan, puis veille sur lui
jusqu’à ce que la guerre soit achevée : tu auras alors l’insigne honneur
de revenir m’annoncer que le Yunnan est enfin tombé dans notre escarcelle.
— Vous... m’envoyez à la guerre, Sire ?
bredouillai-je, pas certain d’en avoir si envie que cela. C’est que... je n’ai
aucune expérience en ce domaine.
— Tu l’acquerras ! Tout homme devrait partir
en guerre au moins une fois dans sa vie... Sinon, comment pourrait-il prétendre
avoir savouré toutes les expériences que propose une vie humaine ?
— Je pensais moins ici à la vie, Sire, qu’à la
mort, justement.
Je ris, sans gaieté, il faut l’avouer.
— Tout homme doit mourir, trancha Kubilaï d’un
ton catégorique. Certaines morts sont à tout prendre moins ignominieuses que
d’autres. Préférerais-tu mourir comme ces employés décrépits qui
s’affaiblissent jour après jour dans le cimetière d’une vieillesse
tranquille ?
— Je n’ai pas peur, Sire. Mais imaginons que la
guerre s’étire en longueur ? Ou qu’elle ne finisse jamais ?
Plus sèchement encore, il répliqua :
— Mieux vaut combattre pour une cause perdue que
d’avoir à confesser un jour à ses petits-enfants qu’on n’a jamais osé
combattre. Vakh !
Le prince Chingkim prit la parole.
— Je puis vous assurer, royal père, que ce Marco
Polo ici présent n’esquiverait pour rien au monde quelque confrontation que ce
soit. Seulement, tel que vous le voyez, il est sans doute un peu secoué par une
récente calamité.
Chingkim entreprit de conter à Kubilaï la façon dont
mes appartements venaient accidentellement – il insista sur le mot – d’être
soufflés.
— Je vois... Te voici donc provisoirement privé
de servantes et accessoirement des services plus féminins qu’elles pouvaient te
rendre, dit-il, compatissant. Ma foi, tu vas voyager si rapidement vers le
Yunnan que tu n’auras pas besoin de domestiques et tu seras si fatigué le soir
que tu ne songeras qu’à dormir. Lorsque tu y seras, bien sûr, tu jouiras comme
chacun de ta part de viols et de pillages. Choisis des esclaves pour te servir
et des femmes pour te complaire. Agis en vrai Mongol !
— Oui, Sire, m’inclinai-je avec soumission.
Il se pencha en arrière et soupira lentement, comme
s’il regrettait les heureux jours d’un temps révolu. Puis il murmura à voix
haute, comme lisant dans ses souvenirs :
— Mon estimé grand-père Gengis était, dit-on, né
un caillot de sang enserré dans son poing. Le chaman en déduisit qu’il aurait
une destinée sanguinaire. Il donna raison à la prophétie. Je le revois en train
de nous conter, à nous, ses petits-enfants : « Mes chers enfants, le
plus grand plaisir que puisse éprouver un homme est d’occire ses ennemis, et
puis, barbouillé de leur sang et empestant leur odeur, de violer leurs chastes
épouses et leurs jeunes filles vierges. Il n’y a pas plus délectable sensation
que de faire jaillir votre jing-ye dans une femme ou une très jeune
fille qui hurle, pleure, se débat et vous maudit. » Ainsi s’exprimait
Gengis khan, l’Immortel des Mongols.
— Je garderai cela bien présent à l’esprit, Sire.
Il reporta son corps sur l’avant et ajouta :
— Tu as sans doute des préparatifs à faire pour
ton départ. Sois aussi rapide que possible. Des éclaireurs sont déjà en route
pour t’ouvrir la voie. Si, sur le chemin, tu as l’occasion de me dessiner des
cartes des régions que tu traverses, comme toi et les tiens l’avez fait sur la
route de la soie, je t’en serai reconnaissant, et ta récompense sera
conséquente. Si, par ailleurs, les hasards du voyage te permettent
d’appréhender le fugitif Pao, je te donne toute latitude pour l’abattre ;
de cela non plus tu n’auras pas à te plaindre. À présent, va et prépare-toi. Tu
auras des coursiers rapides et une escorte sûre dès que tu seras prêt.
Au moins, pensais-je en regagnant ma suite fumante,
cela aura l’avantage de me mettre hors d’atteinte de mes ennemis, qu’il
s’agisse du wali Ahmad, de Dame Chao ou du Caresseur Ping. Mieux valait
tomber au champ d’honneur que périr sous les coups
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