Marco Polo
à ton cou, sous tes vêtements. Voici également mon
sauf-conduit jaune, l’équivalent de ce que tu avais vu porter par tes oncles.
Mais tu n’auras pas à l’exhiber souvent, car je te dote en outre du pai-tzu, bien plus visible. Tu n’as qu’à le mettre sur ta poitrine ou l’attacher à
ta selle : à sa vue, chacun dans ce royaume te fera le ko-tou et
t’accordera hospitalité et service.
Ce pai-tzu était une plaque d’ivoire large
comme la main et haute comme l’avant-bras, munie d’un anneau de sustentation en
argent, incrustée de caractères dorés en alphabet mongol qui demandaient à tous
de me faire bon accueil et de m’obéir, sous peine de déclencher le courroux du
khakhan.
— De même, comme tu seras souvent amené à signer
des bons de dépenses, des récépissés ou autres messages, j’ai fait graver par
le Maître des Sceaux un yin personnel à ton intention, que voici.
C’était un petit bloc de pierre tendre, gris clair
veiné de caractères rouge sang, un carré de six à sept centimètres de côté, au
dos arrondi pour faciliter sa prise en main. La face d’impression était
délicatement sculptée, et Kubilaï me montra comment l’appuyer sur un coussinet
imbibé d’encre pour l’apposer sur tout papier requérant ma signature. Jamais je
n’aurais reconnu cette empreinte a priori comme ma signature,
mais elle m’impressionna très favorablement, et j’émis les plus élogieux
commentaires sur la finesse de l’ouvrage.
— Oui, c’est un bon sceau, et ce yin durera
à jamais, précisa le khakhan. J’ai tenu à ce que Liu Shen-dao, notre Maître des
Sceaux, te le grave dans ce marbre que les Han appellent « pierre de sang
de poulet ». Quant à sa précision, maître Liu est expert au point de
pouvoir inscrire une prière entière sur un seul cheveu humain.
Ainsi quittai-je Khanbalik pour le Yunnan, chargé, en
sus de mes bagages, vêtements et autres nécessités, des douze boules de cuivre
de poudre inflammable, de la lettre scellée pour l’orlok Bayan, de mon
sauf-conduit et de la plaque qui le confirmait, le pai-tzu. .. Ainsi que
de mon yin personnel, avec lequel je pourrais imprimer mon nom, si je le
souhaitais, n’importe où dans Kithai. Voici à quoi il ressemblait, en
caractères han, puisque je suis resté en possession de cet objet :
Je ne savais pas, en partant à la guerre, combien de
temps il me restait à vivre. Mais comme l’avait prédit le khan Kubilaï, mon yin, lui, demeurerait à jamais, perpétuant mon nom pour l’éternité.
TO-BHOT
14
La route qui menait de Khanbalik au site où opérait l’orlok Bayan était presque aussi longue que celle qui reliait Khanbalik à Kachgar.
Mais mes deux éclaireurs et moi, peu chargés, progressions vite. Nous ne
transportions que le strict équipement de voyage, sans ustensiles de cuisine ni
nécessaire de campement, et les objets les plus lourds, les boules de cuivre
chargées de poudre, avaient été répartis sur nos trois bêtes supplémentaires.
Il s’agissait de montures rapides, non de chevaux de bât, aussi notre petite
troupe était-elle en mesure d’avancer au pas de guerre des Mongols, alternant
la marche et le petit galop. Dès que l’un des chevaux commençait à montrer des
signes de fatigue, il nous suffisait de nous arrêter un instant au relais de
poste le plus proche de la route ministérielle pour en avoir six nouveaux tout
frais.
Lorsque Kubilaï avait évoqué les éclaireurs lancés sur
son ordre au-devant de nous pour « ouvrir la route », je n’avais pas
très bien compris de quoi il parlait. J’appris que l’on procédait toujours de
la sorte lorsque le khakhan ou l’un de ses émissaires partait pour une longue
traversée du pays. Ces envoyés informaient les gens, le long du trajet, de
l’arrivée imminente du voyageur. Dès lors, chaque wang de chaque ville,
chaque préfet et les anciens de chaque village étaient tenus de tout faire pour
faciliter son passage. De fait, partout nous attendaient les meilleurs lits
dans les hôtels les plus confortables, des cuisiniers émérites prêts à nous
concocter les mets les plus fins, et l’on n’hésitait pas, s’il le fallait, à
faire creuser de nouveaux puits à notre intention afin de nous pourvoir en eau
fraîche dans les régions arides. Tout cela, bien sûr, nous permettait de
voyager léger. Chaque nuit, nous étions honorés de la présence de femmes mises
à notre
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