Marco Polo
en avant du tuk, suivant la rivière Jin-sha et la piste abondamment foulée des traces de
notre armée de leurre. Au bout de quelques jours d’avance accélérée et de
campements Spartiates, l’orlok grommela : « Nous franchissons
ici la frontière du Yunnan. » Quelques jours après, nous fûmes stoppés par
une sentinelle mongole qui faisait partie du groupe arrière obligé de nous
attendre. Elle nous conduisit hors de la piste, nous emmenant, en contournant
une colline, sur un des côtés de la route principale. Au terme de ce trajet,
nous tombâmes en fin d’après-midi sur huit autres membres de l’arrière-garde
qui campaient là sans feu. Leur capitaine nous invita respectueusement à
descendre de cheval afin de partager des rations froides de viande séchée et
leurs boules de tsampa.
— Mais avant cela, orlok, peut-être
devriez-vous monter au sommet de cette colline et jeter un coup d’œil. Vous y
découvrirez l’intégralité de la vallée de la Jin-sha et saisirez combien vous
arrivez à point nommé.
Le capitaine nous y guida tous trois, Bayan, Ukuruji
et moi-même. Nous accomplîmes cette ascension à petits pas, épuisés par notre
longue chevauchée. Peu avant d’en atteindre le faîte, notre guide nous
enjoignit de nous coucher et de ramper, et c’est avec la plus grande précaution
que nous levâmes la tête au-dessus du rideau d’herbe qui bordait la crête. Nous
comprîmes vite combien il était heureux qu’on nous eût interceptés là.
Eussions-nous persisté à suivre les traces laissées sur la piste quelques
heures de plus, nous serions immanquablement entrés, en contrebas de l’autre
versant de cette colline, dans la longue mais étroite vallée qui s’offrait à nos
yeux, à l’intérieur de laquelle campait notre armée d’appât. Comme on le leur
avait demandé, les Bho se comportaient plus en troupe d’occupation que comme
une armée d’envahisseurs. Ils n’avaient pas érigé de tentes et s’étaient
nonchalamment installés comme s’ils avaient été invités au Yunnan par les Yi.
Si, çà et là, trouant le crépuscule, brûlaient leurs nombreux feux de camp,
seuls quelques gardes avaient vaguement été postés au périmètre du campement
qui se signalait par une agitation et un bruit témoignant de la plus parfaite
insouciance.
— Un peu plus, nous tombions sur eux, fît
remarquer Ukuruji.
— Non, seigneur wang, ce n’est pas ce qui
se serait produit, répliqua notre guide. Et je vous suggère avec respect de
contenir votre voix.
Toujours parlant très bas, le capitaine
expliqua :
— Tout autour du campement que vous voyez sont
disposés les Yi, invisibles car, comme nous, ils campent sans feu. Vous seriez
tombés sur leurs arrières, et ils vous auraient capturés. L’ennemi est massé en
force, tel un gigantesque fer à cheval enserrant par l’arrière et les côtés nos
prétendues forces. Impossible de les distinguer, je vous l’accorde, car ils se
sont cachés dans le moindre recoin et se tiennent à couvert.
— Ont-ils opéré cette manœuvre à chaque fois que
les Bho s’arrêtaient ? demanda Bayan.
— Oui, seigneur orlok, chaque nuit plus
nombreux. Mais quelque chose me dit que le bivouac de ce soir sera le dernier
pour eux. Je peux bien sûr faire erreur, mais, si j’ai bien compté, c’est le
premier soir où je n’ai pas vu leurs forces augmenter. J’ai l’impression que
tous les hommes de ce coin du Yunnan en mesure de porter les armes sont venus
prendre place dans cette vallée. Cela représente à peu près cinquante mille
hommes, nombre équivalant à nos propres forces. Si j’étais à la tête des Yi, je
trouverais cet étroit défilé idéal pour porter un coup fatal à une troupe
décidément bien sûre d’elle. Je l’ai dit, je peux me tromper. Mais mon instinct
de guerrier me le crie : dès demain, à l’aube, les Yi se rueront à
l’attaque.
— Rapport avisé, capitaine Toba, approuva Bayan.
(Je fus impressionné : Bayan semblait connaître le nom de chacun de ses
cinquante mille hommes.) Je partage votre intuition. Qu’en est-il de nos
artificiers ? Avez-vous idée de la façon dont ils sont disposés ?
— Hélas non, seigneur orlok. Il nous est
impossible d’entrer en communication avec eux sans révéler leur position à
l’ennemi. J’ai dû m’en tenir à la présomption qu’ils avaient pu se disperser le
long des crêtes et placer chaque nuit leurs engins dans un nouvel
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