Marco Polo
accompagnées de leur domesticité. Devant, à côté et
derrière chevauchaient, sur des montures somptueusement parées, le prince
Chingkim et les courtisans. Ensuite venaient des voitures bondées de bagages,
d’équipements, d’armes et de trophées de chasse rapportés de la récente
campagne, ainsi que de la provende nécessaire aux bêtes pour le voyage, mais
aussi de vins, de kumis et de viandes. Une troupe de musiciens destinés
à nous distraire aux étapes, chaque soir, occupait l’une de ces voitures avec
leurs instruments. Nous étions précédés d’une journée par une escouade de
guerriers mongols chargés d’annoncer à grands effets de trompette notre
approche ; les villageois avaient ainsi le temps d’allumer leurs feux
parfumés d’encens et, pour peu que nous arrivions à la nuit tombante, de faire
jaillir de fiers rameaux aux fleurs éclatantes (dont le Maître Artificier avait
eu soin, sur le trajet aller, de les pourvoir en abondance), tandis qu’une
autre troupe de cavaliers chevauchait un jour derrière, afin de prendre en
charge les chariots aux roues cassées ou les bêtes blessées que le convoi
aurait dû abandonner. Ajoutons à cela que le khakhan, chose usuelle à pareille
saison, avait à portée deux ou trois paires de gerfauts blancs perchés sur les
montants de son chariot, et tous devaient s’arrêter chaque fois qu’il lui
prenait le loisir de les lancer sur quelque gibier que nous avions fait fuir.
— Oui, Ali, nous irions évidemment beaucoup plus
vite si nous avancions seuls, répondis-je à sa requête. Mais nous devrions nous
en abstenir. Ce serait, d’une part, une marque d’irrespect vis-à-vis du
khakhan, dont la chaleureuse amitié jamais démentie pourrait nous être encore
d’un précieux secours. D’autre part, il sera plus facile à quiconque aurait des
nouvelles de Mar-Janah de nous trouver, si nous restons avec le convoi.
C’était parfaitement vrai, bien que je n’aie pas
confié à Ali mes convictions sur la question. J’avais fini par me persuader que
Mar-Janah avait bien été enlevée par mon ennemi l’imprécateur. Ne sachant pas
qui il était, je ne voyais pas l’intérêt de courir comme un fou vers la ville
pour y errer ensuite. Il était plus logique de penser que cet être malintentionné
garderait un œil sur mes agissements, et plus vite il me repérerait arrivant en
grande pompe, plus tôt nous recevrions son message, une demande de rançon pour
Mar-Janah ou une nouvelle menace. C’était là notre meilleure chance d’établir
un contact avec lui, ou son émissaire la femme voilée, et plus tard avec
Mar-Janah.
Me maintenir dans l’entourage du khakhan permettait
aussi de conserver un œil protecteur sur Hui-sheng, mais cela n’eut aucune
incidence sur mon désir de ne pas courir devant. Hui-sheng, qui voyageait
toujours en compagnie de ses maîtresses mongoles, ne se doutait nullement de
l’intérêt que je lui portais et n’avait aucune connaissance des plans que
j’avais formés pour elle. Je m’arrangeais seulement pour avoir de temps à autre
à son égard de petites attentions, pour qu’elle ne m’oublie pas. Je l’aidais à
monter ou à descendre du chariot des concubines lorsque nous nous arrêtions
dans le caravansérail de quelque palais de province, j’allais remplir pour elle
un pichet d’eau au puits d’une auberge, j’attrapais au vol l’un des bouquets de
fleurs jetés vers nous pour le lui offrir avec une galante inclinaison de
tête... J’espérais ainsi la disposer en ma faveur.
J’avais d’emblée décidé de laisser passer un temps
suffisant. Il me fallait à présent m’y tenir. Il me semblait que mon
ennemi secret trouvait toujours le moyen de savoir où j’étais et ce que je
faisais. Jamais je n’aurais voulu risquer qu’il prît connaissance de
l’attachement que j’éprouvais pour Hui-sheng. S’il était assez malfaisant pour
me frapper à travers une amie aussi chère que Mar-Janah, Dieu seul sait de quoi
il aurait été capable contre quelqu’un dont j’étais vraiment épris.
J’avais bien du mal à empêcher mes yeux d’errer dans sa direction et de
résister à la tentation de venir récompenser son joli sourire à fossettes de
mes menues attentions. C’est uniquement pour Ali et pour Mar-Janah que je
décidai de rester dans le convoi, m’astreignant à ne pas demeurer trop proche
de Hui-sheng.
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À KHANBALIK
22
En plus des cavaliers
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