Marco Polo
qui chevauchaient avec une
journée d’avance sur le convoi, d’autres messagers faisaient constamment la
navette entre Khanbalik et nous afin d’informer le khakhan des dernières
nouvelles de la capitale. Chaque nouveau courrier était soumis au feu roulant
des questions d’Ali Baba, mais aucun ne put lui fournir le moindre
renseignement sur sa femme disparue. En réalité, leur principal objet était de
tenir au courant le khakhan de la progression du convoi de l’impératrice
douairière des Song, également en route vers la capitale. Tout fut calculé pour
que Kubilaï entrât par le nord dans la grande avenue centrale de Khanbalik au
jour même et à l’heure où celui de Xi-chi y arriverait par le sud.
Toute la population de la cité, et sans doute même de
la province entière, venue de centaines de li à la ronde, était
comprimée sur les côtés de l’artère, obstruant les venelles, se penchant aux
fenêtres et grimpant sur les toits pour acclamer le khakhan triomphant avec
force mouvements de drapeaux et tournoiements de bannières sous les brillantes
détonations des fiers rameaux aux fleurs éclatantes, le tout dans une
assourdissante fanfare de trompettes, rythmée de coups de gong, de roulements
de tambour et du tintement des cloches. Les gens poursuivirent leurs vivats,
alors que le convoi à peine moins mirobolant de l’impératrice des Song arrivait
dans l’avenue et s’arrêtait respectueusement à bonne distance du nôtre. Les
clameurs faiblirent lorsque le khakhan, chevaleresque, descendit de son trône
attelé et s’avança pour aller prendre la main de la vieille impératrice. Après
l’avoir très galamment aidée à descendre à son tour de sa voiture, il lui
prodigua une accolade de bienvenue qui déclencha parmi le public un rugissement
tonitruant d’ovations et de musique.
Dès que le khan et l’impératrice furent tous deux
montés dans la voiture de Kubilaï, il y eut une période un peu confuse durant
laquelle les deux convois se mirent en place afin de se rendre conjointement
vers le palais. Là, devait commencer la longue période requise pour les
cérémonies de reddition : les conférences et les discussions, la
préparation, la rédaction et la signature des documents officiels, la passation
entre les mains du grand khan du grand sceau des Song, le yin impérial,
les annonces et les proclamations au public, et enfin les bals et les banquets
pour célébrer la victoire des uns et présenter aux autres les condoléances
relatives à leur défaite. Tout cela dans une telle dignité que la principale
épouse de Kubilaï, la khatun Jamui, offrit à l’impératrice déchue une pension
et accorda à cette dernière ainsi qu’à ses deux petits-fils le droit de passer
le reste de leur existence en retraite religieuse, dans un couvent bouddhiste
pour elle, dans une lamaserie pour eux.
Je conduisis mon cheval dans la zone la moins
encombrée à l’arrière du convoi, conseillant à Ali de faire de même. Dès que
j’en trouvai l’occasion, je me portai à sa hauteur et me penchai suffisamment
vers lui pour que ma voix dominât le tumulte sans que j’aie pour autant à crier :
— Tu comprends maintenant pourquoi il nous
fallait arriver ici tous ensemble ? Tous les habitants de la cité sont
rassemblés, y compris ceux qui savent où se trouve Mar-Janah ; aussi ces
derniers ne peuvent-ils ignorer où nous sommes, nous aussi.
— On le dirait bien, admit-il. Mais personne
n’est encore venu me tirer sur les étriers pour me révéler quoi que ce soit.
— J’ai mon idée sur l’endroit où cela pourrait se
produire, fis-je. Reste avec moi jusqu’à ce que nous atteignions la cour du
palais. Là, nous nous séparerons ostensiblement, afin que je sois sûr qu’on
nous ait bien repérés. Ensuite, voici ce que nous ferons...
Et je lui délivrai certaines instructions.
À coups de coude et d’épaule, la procession sans ordre
bien net, désormais, se força un chemin dans la masse compacte des spectateurs
venus lui souhaiter la bienvenue, aussi pressants qu’aimables, et ce fut si
long que le soir tombait lorsqu’elle atteignit le palais. Nous parvînmes donc à
l’écurie au crépuscule, Ali et moi, comme lors de notre première arrivée à
Khanbalik. La cour baignait dans la plus grande agitation, fourmillante de
monde et de bêtes, noyée dans le bruit et la confusion ; si quelqu’un
cherchait à nous espionner, il aurait sans doute le plus grand
Weitere Kostenlose Bücher