Marco Polo
débordant de joie à l’idée de le revoir, mais il
avait fait l’effort de remettre ses vêtements masculins, et je le laissai
entrer. Comme si ce changement de tenue lui avait rendu un peu de sa virilité
d’antan, il m’adressa la parole de son vieux timbre un peu rude. Après m’avoir
cueilli d’un négligent « Bondi », il se lança dans une
harangue :
— Je suis resté éveillé toute la nuit, neodo Marco,
préoccupé de ta situation, de la nôtre, en fait. Je suis venu te voir ici, sans
même prendre le temps de manger, pour te signifier...
— Non ! crachai-je, fulminant. Il y a déjà
longtemps que je ne suis plus ton petit neveu, et tu n’as donc rien à me signifier. Je suis également resté éveillé toute la nuit, à réfléchir à ce que je
devais faire, et je n’ai pas encore arrêté la conduite à tenir. Si tu as un
avis à émettre sur la question, je veux bien l’entendre. Mais je ne tolérerai
de ta part ni instructions, ni le moindre ultimatum. Est-ce clair ?
— Adasio, adasio, plaida-t-il,
levant les mains en signe d’apaisement et rentrant les épaules comme sous
l’effet d’un coup de fouet.
Je fus presque désolé de le voir si rapidement
reprendre cet air de chien battu, aussi ajoutai-je d’un ton moins acerbe :
— Si tu n’as pas encore déjeuné, il y a là un pot
de thé chaud.
— Merci, fît-il humblement, s’asseyant et se
servant une tasse, avant de poursuivre : Je suis venu ici pour te
conseiller, Marco... enfin, je veux dire, pour te suggérer... de ne pas
t’embarquer dans un plan d’action avant que j’aie pu parler de nouveau au wali Ahmad.
N’ayant pas encore établi le moindre plan, je me
contentai de hausser les épaules et m’assis à même le sol afin de continuer à
trier mes effets. Il reprit :
— Comme j’ai tenté de te l’expliquer la nuit
dernière, j’ai déjà imploré Ahmad de conclure une trêve avec toi. Sois-en sûr,
je ne cherche pas à excuser les atrocités qu’il a commises. Mais comme je le
lui ai fait remarquer, en agissant de la sorte, il a réussi à te priver de tous
les témoins qui auraient pu te soutenir, aussi n’a-t-il pas à craindre qu’une
calomnie vienne l’inquiéter. Dans le même temps, comme je l’ai également
souligné, il t’a déjà suffisamment puni de l’avoir irrité en premier lieu.
Matteo siffla sa tasse de thé, puis se pencha en avant
pour mieux voir ce que j’étais en train de faire.
— Cazza beta ! Les
reliques de notre voyage... Je les avais oubliées. Ah, voici le kamal d’Arpad.
Et là, une jarre de mumum, l’onguent dépilatoire. Et ce philtre,
n’est-ce pas un souvenir de ce charlatan de hakim Mimdad ? Tiens,
voilà un paquet de cartes zhi-pai... Ma parole, Marco, toi, ton père et
moi formions un bien insouciant trio de voyageurs, tu ne crois pas ?
Il se rassit.
— Mon argumentation est donc la suivante. Dans la
mesure où Ahmad n’a aucune raison de continuer à s’acharner sur toi et où, de
ton côté, tu ne disposes d’aucune arme efficace contre lui, il semble qu’une
trêve entre vous serait...
— ... serait, en effet, complétai-je d’un ton de
mépris, la meilleure solution pour sauvegarder ta petite affaire avec ton amant
dominateur. Le doux farniente. C’est au fond tout ce qui t’importe,
n’est-ce pas ?
— Ce n’est pas vrai. S’il le fallait, je suis
prêt à prodiguer toutes les attentions possibles à... toutes les parties
concernées. Et même si tu en déplores les effets, il y a bien d’autres
arguments qui plaident en faveur de la trêve. Personne n’en sortira blessé, et
tous en bénéficieront.
— Cela ne profitera en tout cas pas beaucoup aux
trois victimes assassinées, Mar-Janah, Buyantu et Dame Chao. Ahmad les a toutes
trois supprimées, alors qu’aucune d’entre elles ne lui avait fait le moindre
mal, ni causé de tort. Et Mar-Janah était une amie.
— En quoi cela profiterait-il à des mortes ?
cria-t-il. Rien de ce que tu pourras faire ne les ramènera à la vie !
— Moi, je suis encore vivant, et je dois composer
avec ma conscience. Tu viens de rappeler que nous formions un insouciant trio,
mais nous étions quatre, lors de ce voyage. Tu semblés l’avoir oublié. Narine
était l’un des nôtres. Et plus tard, sous le nom d’Ali Baba, il est devenu le
mari de Mar-Janah ; or c’est par ma faute qu’il l’a perdue. Ta conscience est
peut-être élastique à l’infini, mais je ne
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