Marco Polo
aussi soudainement que Chingkim. Laisse-moi accomplir la
dernière mission qu’il m’a confiée, et quand je reviendrai...
— Personne, Marco, ne peut présager du lendemain,
déclama-t-il d’un ton solennel.
Je faillis piaffer d’exaspération et lui assener une
verte réplique. Mais il m’était impossible d’éprouver à son égard la moindre
irritation, de partager son inclination au morbide ou de ressentir de
l’appréhension. J’étais depuis peu un homme très riche et heureux, sur le point
de partir en voyage dans une région inconnue, avec à ses côtés la compagne la
plus chère à son cœur. Je me contentai de lui tapoter l’épaule et repris, non
pas d’un ton résigné, cette fois, mais avec un véritable entrain :
— Que demain vienne ! Sto mondo xe fato
tondo !
CHAMPA
32
C’était une fois encore l’orlok Bayan que je
partais rejoindre, mais cette fois il se trouvait beaucoup plus loin. Aucune
urgence ne pressait mon pas. Je m’arrangeai donc pour que Hui-sheng et moi
puissions voyager avec domestiques et provisions – sa servante mongole, deux
esclaves qui pourvoiraient à l’installation des campements, une escorte mongole
pour notre protection et des animaux de bât. Mais je fis en sorte de prévoir
des étapes raisonnables afin de rendre notre marche confortable et pris soin de
changer régulièrement nos montures aux relais de poste. Chaque soir, un
caravansérail décent nous attendait ou une ville de taille suffisante, à moins
que nous ne fassions escale dans quelque palais de province. Nous avions au
total sept mille li à franchir sur toutes sortes de terrains (prairies,
terres agricoles ou montagnes) mais, en effectuant le parcours à petite allure,
nous parvînmes à passer d’agréables nuits de repos durant les cinq mille
premiers li du trajet. Nous dirigeant d’abord au sud-ouest de Khanbalik,
nous suivions peu ou prou la route que j’avais empruntée lors de mon voyage au
Yunnan, aussi nous arrêtâmes-nous en de nombreux endroits que j’avais déjà
visités, les cités de Xian et de Chengdu, entre autres. Ce ne fut qu’ensuite
que nous pénétrâmes en territoire inconnu.
En partant de Chengdu, nous n’obliquâmes pas vers
l’ouest, comme j’avais dû le faire auparavant, pour nous diriger vers les
hauteurs du To-Bhot. Nous poursuivîmes en direction du sud-ouest vers la
province du Yunnan. Dans sa capitale, Yunnanfu, dernière cité importante sur
notre itinéraire, nous fûmes royalement reçus par le wang Hukoji.
J’avais une raison très privée de voir Yunnanfu, mais je ne la dévoilai pas à
Hui-sheng. La dernière fois que je m’étais trouvé dans ces régions, j’avais
achevé ma mission dans la guerre du Yunnan et m’en étais allé avant que Bayan
fasse le siège de la capitale, sans saisir la chance qu’on m’offrait de compter
parmi les privilégiés, les premiers à piller et à violer. Ayant renoncé à
l’occasion « d’agir en vrai Mongol », je regardais à présent autour
de moi avec un intérêt tout particulier pour voir ce que j’avais manqué et
notai que les femmes Yi étaient en effet très jolies, comme on me l’avait
certifié. Nul doute que j’aurais apprécié m’amuser avec les « chastes
épouses » et les « jeunes filles vierges », et que je me serais
alors imaginé profiter des plus belles femmes de l’Orient. Mais j’avais eu
depuis l’immense chance de découvrir Hui-sheng, aussi regardais-je désormais
les femmes Yi comme nettement inférieures et bien moins désirables qu’elle. Je
ne me sentais donc point frustré de n’en avoir eu aucune.
Au-delà de Yunnanfu, toujours vers le sud-ouest, la
route du Tribut nous mena en pleine nation Ava, dans la vallée d’une rivière,
en un lieu appelé Bhamo qui ne consistait qu’en une ligne de forts de
construction sommaire. Nous y fumes reçus par un capitaine qui commandait les
quelques Mongols laissés en garnison sur place. Celui-ci nous informa que la
guerre était déjà achevée, que le roi d’Ava, en fuite, se cachait quelque part
et que Bayan célébrait la victoire dans la capitale, Pagan, loin en aval de la
rivière. Le capitaine suggéra que nous nous y rendions en barge fluviale,
laquelle nous y conduirait plus rapidement et dans de meilleures conditions de
confort. Il nous en fournit d’ailleurs une et l’équipage de rameurs qui va
avec, ainsi qu’un scribe nommé Yissun qui connaissait la langue Mien.
Nous
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