Marco Polo
naissance, n’avait eu de cesse
depuis de se reconstruire, de tenter de renaître de ses cendres. On continuait,
après toutes ces années, à l’agrandir, à la rénover et à l’embellir, afin de
lui rendre tout le lustre et la grandeur auxquels était en droit de prétendre
la capitale du plus vaste empire du monde. La large avenue nous conduisit,
toujours escortés de nos fantassins en armes, de nos vieux sages et de nos
musiciens, entre deux longues rangées de bâtiments aux façades élégantes,
jusqu’à une porte orientée plein sud, qui trouait un mur presque aussi haut et
épais que les tronçons les mieux bâtis de la Grande Muraille qui s’étendaient
aux environs.
Introduits par cette porte, nous nous retrouvâmes dans
l’une des cours du palais du khakhan. Le mot de « palais » ne suffit
cependant pas à donner une idée de l’étendue d’un tel édifice. C’était en
effet, plus qu’un palais, une véritable ville dans la ville, bien qu’elle
affectât l’apparence d’un immense bâtiment. Dans la cour pullulaient des
chariots et des bêtes de bât de tailleurs de pierre, de charpentiers, de
plâtriers, de doreurs et autres ouvriers. Elle vibrait littéralement d’un flux
incessant de paysans et de commerçants, tous venus approvisionner les habitants
du palais en nourriture et en produits variés, trafic auquel venaient s’ajouter
les attelages, équipages ou palanquins portés à bras d’homme d’augustes
visiteurs, arrivés parfois de très loin pour traiter d’autres affaires.
Un Han chenu et de frêle apparence sortit du rang des
hommes de la cour qui nous avaient accompagnés à travers la ville et nous
annonça en farsi :
— Je fais mander vos serviteurs, mes seigneurs.
Il battit alors très doucement l’une contre l’autre
ses mains blafardes et parcheminées, mais par je ne sais quel miracle, ce geste
imperceptible au milieu de la confusion, fut instantanément obéi. Une
demi-douzaine de garçons d’écurie surgirent de nulle part, à qui il intima l’ordre
de s’occuper de nos montures et des bagages, en même temps que de conduire
Ussu, Donduk et Narine jusqu’à leurs quartiers, au bâtiment des gardes du
palais. Il claqua ensuite des mains encore plus silencieusement, et trois
servantes firent leur apparition, de façon presque magique.
— Ces jeunes femmes prendront soin de vous, mes
seigneurs, indiqua-t-il à mon père, à mon oncle et à moi. Vous logerez
temporairement au pavillon des invités d’honneur. Je viendrai vous revoir dans
la matinée pour vous mener auprès du khakhan, qui est déjà fort impatient de
vous accueillir, et il vous choisira sans doute alors des appartements
permanents.
Les trois jeunes filles nous saluèrent par quatre fois
de cette révérence han appelée ko-tou à l’humilité presque déplacée, laquelle
s’apparente en fait à une prosternation si appuyée qu’au moment où l’on
s’incline le front est censé venir frapper le sol. Après quoi, toutes trois
nous firent signe de les suivre en souriant et nous conduisirent à curieux
petits pas d’oiseau, sautillants et légers, à travers toute la cour, où chacun
se retira pour nous laisser passer. Nous parcourûmes une distance considérable
dans la pénombre de cette cité-palais, longeant des galeries, traversant des
cloîtres, débouchant dans d’autres cours à ciel ouvert, pour replonger dans des
couloirs et franchir des terrasses, jusqu’à ce que les jeunes femmes se
prosternent enfin, dans un nouveau ko-tou, devant le Pavillon des
Invités. Il était ceint d’un mur blanc et translucide, fait de ce qui semblait
être du papier huilé tendu sur des cadres de bois léger. Les servantes
l’ouvrirent aisément en faisant glisser deux panneaux et nous invitèrent du
geste à y pénétrer. Nos appartements étaient une suite composée de trois
chambres séparées et d’un salon, le tout luxueusement paré et ornementé. Un
brasero au décor somptueux y brûlait déjà, et ce qui s’y consumait n’était ni
d’odorantes bouses animales, ni ce combustible à fumée envahissante qu’était la kara, mais un charbon de bois propre. L’une des servantes s’occupa de
préparer nos couches – de véritables lits haut perchés, qu’édredons et coussins
veloutés surélevaient encore – tandis qu’une autre mettait de l’eau à chauffer
pour notre bain et que la troisième rapportait des plateaux de nourriture
chaude d’une cuisine proche.
Nous
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