Marco Polo
scintillant semblait rayonner comme une étoile. Je ne me
lançai moi-même dans aucune affaire, me contentant de visiter les sites les plus
remarquables, des cités fort anciennes, désertées et abandonnées à la jungle,
mais dont l’architecture admirable me fît penser que le peuple de Srihalam
était peut-être le descendant de la race qui avait habité l’Inde avant les
Hindous et construit les temples que ceux-ci prétendaient désormais être les
leurs.
Le capitaine de notre navire et moi-même, ravis de
nous dégourdir les jambes après cette longue traversée, passâmes deux jours à
escalader un pic sur lequel trônait un mausolée qui abritait, selon ce que
m’avait dit le pongyi d’Ava, la fameuse empreinte du pied de Bouddha. Je
devrais préciser : « dont les bouddhistes affirment qu’il
s’agit du pied de Bouddha ». Car, pour les pèlerins hindous, c’est
l’empreinte de leur dieu Shiva. Les musulmans proclament, quant à eux, qu’il
s’agit du pied d’Adam, et certains visiteurs chrétiens y voient un témoignage
du passage de saint Thomas ou du Prêtre Jean. Selon mon digne compagnon Han, il
s’agissait à n’en pas douter de la trace du pied de Pan-ku, ancêtre Han de
l’humanité tout entière. Je ne suis pas bouddhiste, mais j’incline à croire que
cette marque oblongue dans le roc, presque aussi longue et large que moi, doit
avoir été laissée par Bouddha, parce que, ayant vu sa dent, je sais que
c’était un géant.
Pour être honnête, je fus moins intéressé par cette
empreinte que par l’histoire que nous raconta l’intendant du mausolée, le pongyi local, ici appelé bhikku. Il nous expliqua que si son île était
riche en gemmes, c’était justement parce que Bouddha y avait séjourné
quelque temps : il avait pleuré sur la vilenie de notre monde, et chacune
de ses saintes larmes, en se solidifiant, s’était transformée en un rubis, une
émeraude ou un saphir. Cependant, ajoutait le bhikku, on ne pouvait les
ramasser au sol. Ces joyaux avaient été emportés dans des vallées nichées à
l’intérieur de l’île, des abîmes inapprochables car ils grouillaient de
serpents venimeux. Aussi les habitants avaient-ils dû faire preuve
d’imagination pour récolter les précieuses pierres.
Sur les rochers escarpés qui surplombaient ces vallées
nichaient des aigles, lesquels se nourrissaient d’ordinaire de serpents. Les
insulaires se glissaient nuitamment parmi les rochers et envoyaient au fond du
gouffre des morceaux de viande crue. Lorsque ceux-ci tombaient, des pierres
précieuses venaient s’y coller. Le lendemain, les aigles qui scrutaient le sol
préféraient la viande aux serpents. Il suffisait ensuite d’attendre qu’ils
soient absents du nid pour venir fouiller du doigt les excréments qu’ils
avaient laissés et y récupérer les rubis, les émeraudes et les saphirs qu’ils
avaient ingérés. Je trouvai cette méthode d’exploitation minière pour le moins
ingénieuse et songeai aussi que là devait se trouver l’origine des nombreuses
légendes au sujet de l’oiseau rukh censé attraper des proies bien plus
lourdes encore, y compris des êtres humains et des éléphants. Revenu au bateau,
j’expliquai en riant à mon père que les saphirs qu’il venait d’acquérir
valaient en réalité bien plus que leur valeur, car ils avaient été trouvés à
son intention par le légendaire oiseau rukh.
Nous aurions pu séjourner plus longtemps à Srihalam
mais, un jour, Dame Kukachin fit remarquer, mélancolique :
— Voilà déjà un an que nous sommes partis, et le
capitaine m’apprend que nous n’en sommes encore qu’aux deux tiers du parcours.
Je connaissais désormais assez la jeune princesse pour
savoir que ce n’était pas de sa glorieuse intronisation comme ilkhatun qu’elle
se languissait. Elle était seulement impatiente de rencontrer son futur mari et
de l’épouser. Après tout, elle avait à présent un an de plus et était encore
vieille fille.
Nous mîmes donc un terme à notre séjour sur cette île
agréable. Nous voguâmes vers le nord, le long de la côte occidentale de l’Inde,
et fîmes en sorte d’avancer le plus vite possible, aucun d’entre nous n’ayant
le moindre désir d’explorer cette terre. Nous nous limitâmes à quatre escales
quand nos barils furent vides. La première dans un port important nommé Quilon,
la deuxième à Mangalore, situé à l’embouchure d’un fleuve où il nous
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