Marco Polo
jeune femme à son visage, seule partie
de son corps que j’avais vu auparavant. C’était l’une des concubines de
Kubilaï. Deux autres concubines, tout aussi dépoitraillées, prêtaient leur
concours à l’accouplement, tandis que la khatun Jamui et une autre épouse se
tenaient debout à proximité, entièrement vêtues, mais observant la scène d’un
air plutôt conciliant.
De son même ton lourdaud de guide ecclésiastique, maître
Chao poursuivit :
— Celui-ci est intitulé : Le puissant
cerf monte la troisième de ses biches languissantes. Vous remarquerez qu’il
en a déjà honoré deux, comme en témoignent les gouttelettes de son jing-ye qui
coulent lentement le long de leurs cuisses, et qu’il lui en reste encore deux à
savourer. À dire vrai, dans notre langue han, on aurait pu intituler ce
tableau : Les Cataractes du Yang-Tze...
— Ce tableau ? m’exclamai-je, le souffle
coupé. Vous insinuez qu’il y en a d’autres identiques ?
— Identiques, peut-être pas, non... Le dernier
avait pour titre : Kubilaï est le plus puissant des Mongols, car il
prélève une part du Yin pour augmenter son Yang [10] ... Il le montrait à genoux devant une très jeune fille nue, lapant à coups de
langue ses perles de suc intime, tandis qu’elle...
— Porco Dio ! m’offusquai-je
à nouveau. Et vous n’avez pas encore été traîné devant le Caresseur ?
Imitant ma mimique outragée, il répliqua,
moqueur :
— Porco Dio ! J’espère
bien ne jamais l’être. Pourquoi pensez-vous que je poursuis cette tâche de
prostitution artistique ? C’est, comme disent les Han, mon outre de vin et
mon sachet de riz. C’est précisément pour obtenir ce genre d’image que le
khakhan m’a honoré de ce titre ministériel vide de sens.
— Prétendriez-vous qu’il commande ces
toiles ?
— Il doit avoir, à l’heure actuelle, plusieurs
galeries remplies de mes rouleaux peints. Je lui décore aussi des éventails. Ma
femme peint d’abord un superbe décor de bambouseraie ou de champ de pivoines.
Si vous dépliez l’éventail dans le sens habituel, vous ne voyez d’ailleurs que
cela. Mais si, dans un but coquin avoué, vous le faites en sens inverse, une
saynète de badinage érotique surgit devant vos yeux.
— Et donc, cette... cette sorte de chose
constitue de fait votre principale activité pour Kubilaï ?
— Pas seulement pour Kubilaï,
malheureusement ! Par sa décision, je suis désormais corvéable à merci
comme le dernier des jongleurs de banquet. Mon talent est au service de tous
mes collègues ministres et des courtisans. Même au vôtre, je n’en serais pas
surpris. Il faudra que je me renseigne.
— Incroyable..., murmurai-je, éberlué. Si
j’imaginais cela... Le ministre de la Guerre du khanat... passant son temps à
composer de vils tableaux...
— Vils ? (Il feignit de se cabrer
d’horreur.) Vraiment, mon cher, vous me blessez. Le thème mis à part, ils n’en
émanent pas moins de la souple main de Chao Meng-fu, Maître du Feng Shui à
la Ceinture dorée.
— Oh, loin de moi l’idée d’en nier l’experte
facture. Elle témoigne d’un talent artistique indiscutable. Mais...
— Si ce tableau vous choque, prévint-il, vous
devriez voir ceux que j’ai peints pour ce dégénéré d’Ahmad ! Mais allez-y,
continuez, grand frère : mais quoi ?
— Mais... personne, pas même le khakhan, n’a
jamais possédé un diamant rouge masculin tel que celui que vous avez
représenté. Certes, vous l’avez peint d’un rouge assez vif, mais sa taille, ces
veines qui l’entourent ! On dirait qu’il ramone sa partenaire avec un
madrier mal équarri.
— Ah, çà ! C’est vrai, j’en conviens. Oui,
oui. C’est que, voyez-vous, il n’a pas posé pour ces toiles, et il est toujours
bon de flatter son patron. Le seul modèle que j’utilise, c’est moi-même, en me
regardant dans une glace pour garantir une articulation anatomique correcte.
Cela dit, je le confesse, le membre viril d’un Han – le mien inclus, je le
crains – vaudrait à peine le regard, si même il avait une chance d’être vu, sur
une peinture de cette dimension.
Je tentai de marmonner des paroles consolatrices, mais
il éleva la main.
— S’il vous plaît ! Ne me dévoilez pas le
vôtre. Allez plutôt le montrer à l’Armurier du palais. Celle-ci pourrait bien
apprécier le contraste avec celui de son mari. Pour ma part, j’ai déjà observé
le grossier organe
Weitere Kostenlose Bücher