Marcof-le-malouin
Marcof, qui prodiguait ses soins à celui qu’il croyait son père, Marcof se laissa aller à un profond désespoir.
Le pêcheur reçut courageusement l’avertissement du docteur, et se prépara à entreprendre ce dernier voyage, qui s’achève dans l’éternité. Comme presque tous les marins, il craignait peu la mort, pour l’avoir souvent bravée, et ses sentiments religieux lui promettaient une seconde vie plus heureuse que la première. Aussi, le docteur parti, il se fit donner sa gourde, avala à longs traits quelques gorgées de rhum, et, ensuite, il alluma sa pipe.
Au moment de mourir, les souffrances avaient disparu, et le vieux matelot se sentait calme et tranquille. Il profita de cet instant de repos pour appeler près de lui son fils adoptif. Marcof accourut en s’efforçant de cacher ses larmes.
– Tu pleures, mon gars ? lui dit le pêcheur d’une voix douce.
– Oui, père, répondit l’enfant.
– Et à cause de quoi pleures-tu ?
– À cause de ce que m’a dit le médecin.
– Le médecin est un bon matelot qui a bien fait de me larguer la vérité. Vois-tu, mon gars, je file ma dernière écoute. Je suis comme un vieux navire qui chasse sur son ancre de miséricorde… Dans quelques heures je vais m’en aller à la dérive et courir vers le bon Dieu sous ma voile de fortune. Ne t’afflige pas comme ça, mon gars ! Je n’ai jamais fait de mal à personne ; ma conscience est nette comme la patente d’un caboteur, et quand la mort va venir me jeter le grappin sur la carcasse, je ne refuserai pas l’abordage. La bonne sainte Vierge et sainte Anne d’Auray me conduiront aux pieds du Seigneur, et, comme j’ai toujours été bon matelot et bon Breton, le paradis me sera ouvert… Sois donc tranquille et ne t’occupe plus de moi !…
Marcof pleurait sans répondre. Le pêcheur se reposa pendant quelques secondes, et reprit :
– Voyons, mon gars, quand les amis m’auront conduit au cimetière, qu’est-ce que tu feras ?
– Je ne sais pas ! fit l’enfant en sanglotant.
– Dame ! mon gars, nous ne sommes point riches ni l’un ni l’autre. J’ai bien encore, dans un vieux sabot enterré sous le foyer une dizaine de louis ; mais ça ne peut te mettre à même de vivre longtemps… Tu n’es pas encore assez fort pour conduire seul une barque de pêche ! Et pourtant, avant de m’en aller, je voudrais te savoir à l’abri du besoin, car je t’aime, moi…
– Et moi aussi, père, je vous aime de toutes mes forces !… répondit Marcof en embrassant le mourant.
– Tu m’aimes, bien vrai ?
– Dame ! je n’aime que vous au monde !
Le pêcheur réfléchit profondément. De vagues pensées assombrissaient son visage. Il se rappelait la visite du gentilhomme et la promesse qu’il avait faite de ne pas révéler à l’enfant la manière dont il avait été abandonné. Mais l’étrange divination qui précède la mort lui conseillait de tout dire à son fils adoptif. Il craignait d’être coupable envers lui en lui cachant la vérité. Puis il aimait sincèrement Marcof, et il pensait aussi qu’un jour peut-être il pourrait retrouver ses parents qui, sans aucun doute, étaient riches et puissants. Alors le pauvre enfant se verrait non-seulement à l’abri de la misère, mais encore dans une position brillante et heureuse. Cependant, avant de prendre un parti, il envoya chercher un prêtre. Il se confessa et raconta naïvement ce qui s’était passé entre lui et le gentilhomme. Il demanda au recteur ce qu’il devait faire. Celui-ci était un homme de sens droit et profond. Il conseilla au pêcheur de suivre l’inspiration de sa conscience, et de ne rien cacher à son fils adoptif de ce qu’il savait sur son passé. Malheureusement, il ne savait pas grand’chose.
Néanmoins, le prêtre étant présent à l’entretien, le pêcheur dévoila à Marcof le mystère qui avait entouré sa venue dans la cabane de celui qu’il avait coutume d’appeler son père. Ce récit ne produisit pas une bien grande impression sur l’enfant.
– Si mon véritable père m’a abandonné, dit-il avec fermeté, c’est que probablement il avait ses raisons pour le faire. Je ne chercherai jamais à retrouver ceux qui ont eu honte de moi. Je ne connais qu’un homme qui mérite de ma part ce titre de père, et cet homme, c’est vous ! continua-t-il en s’agenouillant devant le lit du mourant. Bénissez-moi donc, mon père, et ne voyez en moi que votre
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