Marguerite
tour dans la boutique. C’était le docteur Daniel Arnoldi, un ancien élève de Rowand.
Talham reconnut avec plaisir ce jeune médecin pour qui il avait de la sympathie. C’était un travailleur acharné et ambitieux qui n’hésitait pas { soigner les pauvres des campagnes. Talham avait appris qu’Arnoldi, après quelques années passées dans le Haut-Canada et dans la région de Trois-Rivières, venait de se fixer définitivement à Montréal.
— Docteur Arnoldi ! Eh bien, si'je m’attendais !
— Alors, Talham, je vous prends à fréquenter les médecins anglais maintenant? s’exclama joyeusement Arnoldi en retirant son couvre-chef.
Arnoldi se moquait gentiment du docteur Talham. Les déboires de ce dernier avec le bureau des examinateurs en 1786 étaient connus. Cette année-là, une ordonnance du gouverneur obligea tous les praticiens de la médecine, du chirurgien en passant par l’apothicaire et la sage-femme, à obtenir une licence de pratique { la suite d’un examen passé devant des bureaux d’examinateurs. Ce comité jugeait des capacités de chacun { pratiquer. Talham s’était volontiers prêté à cette formalité.
Or, sa demande de licence avait été refusée. Les examinateurs, tous des Anglais, bien entendu, lui avaient uniquement accordé la permission d’agir comme arracheur de dents et «saigneur», comme on nommait ceux qui pratiquaient les saignées, { l’instar des barbiers d’autrefois.
Talham en avait été profondément humilié, lui qui n’avait jamais rien fait d’autre que de soigner les gens. Il avait été obligé de recommencer les démarches, usant cette fois de ses relations, afin de prouver qu’il était bien ce qu’il pré-
tendait être. Il avait finalement été reçu et la licence avait été délivrée l’année suivante.
— Je croyais que vous les aviez tous maudits, leur souhaitant rien de moins que les flammes de l’enfer ! lui lança Arnoldi dans un clin d’œil.
— Ne me rappelez pas ce mauvais souvenir ! J’aurais bien voulu vous y voir à justifier des compétences qui pourtant étaient reconnues de tous. Et puis, vous allez me noircir devant mon épouse. Je lui raconterai ce triste épisode de ma vie un autre jour.
— Votre épouse ? J’ai cru un instant que cette jolie dame était votre fille. Mes hommages, madame Talham, fit-il en s’inclinant devant Marguerite. Mes sincères félicitations pour votre mariage.
Marguerite lui adressa un vague sourire en cherchant des yeux un siège pour s’asseoir. Elle se sentait étourdie. Il régnait dans cet endroit une odeur aigre de médicaments et de formol qui la prenait { la gorge et l’indisposait.
— A mon tour de vous complimenter pour l’excellence de votre français, Arnoldi, malgré vos années dans le Upper Canada, l’asticota amicalement Alexandre.
— Vous vous moquez, Talham, s’exclama Arnoldi en feignant l’indignation. Et puis, vous n’aurez plus rien {
craindre pour mon français puisque j’ai épousé une de nos jolies Canadiennes, une Franchère.
— Docteur..
Marguerite s’agrippa au bras de son mari. Elle était pâle, la mine défaite, s’appuyant sur le comptoir de l’apothicairerie pour ne pas tomber.
Rowand apporta rapidement une chaise juste avant que la jeune femme ne s’effondre, inconsciente, dans les bras de son mari.
— Oh ! mon Dieu ! Marguerite !
Rowand lui tendit un flacon de sels que Talham fit respirer à Marguerite.
— Je crois que. . j’ai eu un malaise, dit-elle faiblement en revenant à elle.
— Ma pauvrette, dit doucement son mari en lui tapotant le dos de la main. Comme je suis sot ! A quoi cela sert-il d’avoir comme mari un médecin s’il est incapable de prendre soin de la santé de sa propre épouse ? Tout à mon bonheur de te faire découvrir la ville, j’oublie que c’est une trop grande fatigue pour toi. Je règle vite mes affaires, puis nous irons chez Delvecchio afin de nous restaurer et de prendre un peu de repos. Rowand, puis-je vous laisser ceci ? dit-il en tendant un bout de papier sur lequel il avait noté les articles manquants
de
son
apothicairerie,
à
Chambly.
Et vous prier de faire livrer chez Dillon, avant samedi.
Messieurs, je vous prie de m’excuser.
Rowand examina rapidement la liste : du bandage à «ressort» élastique, des aiguilles croches, deux boîtes de lancettes neuves, une nouvelle seringue, du sel de Glauber, de la fleur de soufre, du quinquina, de l’ipéca, de l’onguent pour
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