Marguerite
la gale, des flacons de crème de tartre, un flacon de magnesia. La liste s’étirait et Marguerite pâlissait.
— Ne vous inquiétez pas pour votre « ordre », dit Rowand à Talham. Et faites donc prendre un peu de ce cordial à madame, ajouta-t-il en lui tendant une petite fiole.
Trois gouttes suffiront, je crois.
Talham prit la fiole et remercia. La porte se referma sur eux. Une fois dehors, l’air frais redonna vite ses couleurs {
Marguerite. Ils firent quelques pas et Talham poussa la porte de l’auberge de Thomas Delvecchio.
Dans la boutique, Rowand déposa la liste de Talham sur son écritoire et consulta Arnoldi d’un air entendu.
— En voil{ de belles, n’est-ce pas Arnoldi ? Que dites-vous du malaise de cette jeune dame ?
— Je dis que c’est un malaise commun aux dames qui ont de l’espérance, répondit tout bonnement le do.cteur Arnoldi, et je m’en réjouis. Assurément, notre collègue Talham sera père dans quelques mois. Quoique je m’étonne qu’un homme de son expérience impose { son épouse un voyage à Montréal, vu son état.
— Vous avez raison. Sauf que dans l’ordre normal des choses, Talham devrait être marié depuis un mois ou deux pour que sa jeune femme soit ainsi indisposée. Figurez-vous que, quand vous êtes entré, il venait de m’annoncer que son mariage ne date que d’hier.
— Vraiment? Peut-être finalement que ce malaise n’était qu’un accès de fatigue dû { l’air vicié de la ville, proposa simplement Arnoldi. Vous savez que le changement peut être néfaste aux gens de la campagne dont les poumons sont habitués à un air plus sain.
— Fadaises, Arnoldi ! Les mœurs dissolues de ces satanés Français, voilà la véritable raison de cet évanouissement !
Le docteur Daniel Arnoldi sursauta, surpris par la viru-lence de l’accusation formulée par son confrère. Le docteur Rowand manifestait sa piètre opinion des Canadiens à l’instar de plusieurs de ses compatriotes britanniques. Le commerçant faisait toujours bonne figure à sa clientèle française, mais une fois lancé dans sa diatribe préférée, il y allait de tous ses préjugés sur la faiblesse de la moralité française.
— Des séducteurs impénitents qui forcent les jeunes femmes, se confessent à leurs curés qui les obligent à réparer par le mariage, pesta-t-il. Et Talham, que je croyais différent des autres, est de la même farine. Des barbares et des ignares qui profitent de la grandeur de la civilisation britannique !
— Comme vous y allez, Rowand ! protesta Arnoldi.
Talham aurait séduit cette charmante enfant ? Impossible, cet homme est d’une probité exemplaire et un excellent parti pour n’importe quelle jeune fille de bonne famille. Il semble très amoureux de sa jeune femme, bien que, de toute apparence, elle lui soit inférieure de classe.
— Que vous êtes naïf, Arnoldi ! Talham n’est qu’un imposteur. [ l’époque de l’ordonnance, le bureau des examinateurs l’avait relégué chez les arracheurs de dents et les chirurgiens barbiers. Mais il est revenu à la charge en faisant intervenir le vieux Rouville, cette fripouille de juge, pour obtenir sa licence de chirurgien qui en a fait notre égal.
— N’était-ce pas justice? répliqua Arnoldi. Talham a étudié au Collège de Rouen, l’une des meilleures facultés de médecine de France.
— Balivernes, Arnoldi, fit Rowand en balayant l’air d’un geste de la main. Je suis d’avis que la plus grande école de médecine française ne vaut pas la plus médiocre des écoles anglaises.
— C’est pourtant { Edimbourg que se trouve le meilleur collège de médecine de notre époque, ironisa le docteur Arnoldi qui tentait de garder son calme.
— L’Ecosse fait partie de la Grande-Bretagne.
— Mister Rowand, les médecins français ne sont pas tous des ânes. Vous oubliez Laterrière et Blanchet.
— Pfft, répliqua Rowand, méprisant. Des diplômés d’universités américaines !
La tournure de la conversation commença à indisposer le docteur Arnoldi. Si on ne pouvait nier que les chirurgiens anglais étaient généralement d’excellents praticiens, cela ne voulait pas nécessairement dire que tous les autres, français et allemands notamment, étaient incompétents. Laterrière et Blanchet, deux médecins de Québec, l’avaient bien prouvé en allant décrocher des diplômes dans des universités américaines. De plus en plus, on voyait de futurs médecins partir {
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