Marguerite
bonne fortune de découvrir l’Europe ?
— Eh bien, il semble que la situation soit plus tendue que jamais entre la France et l’Angleterre. Le risque de guerre est imminent.
— Diable ! s’exclama Papineau, pas encore une autre guerre entre nos deux mères patries! C’est proprement déchirant. Nous pouvons admirer le régime britannique, mais notre cœur reste { la France.
— Oh ! s’écria Marguerite, la main sur la bouche de peur d’avoir trop haussé la voix. Mais est-ce dangereux ? Mon cousin risque-t-il d’être pris l{-bas et de ne plus revenir?
C’est si loin.
— Soyez rassurée. Boileau m’écrit qu’il reviendra par l’Angleterre. Son intention était de repartir par La Rochelle et prendre le bateau pour la Nouvelle York. Mais, craignant vin blocus, il a changé d’avis. Ce qui signifie, explique-t-il, qu’il devra retraverser toute la France pour se rendre {
Calais et, de là, traverser en Angleterre avant de prendre un bateau pour Québec.
— Il aura certainement deux mois de retard, calcula Talham. Il ne sera pas au pays avant octobre. Ses parents, qui espéraient son retour pour le mois d’août, seront déçus.
— Puisque nous voilà tous rassurés, permettez, ma chère, que nous sortions de table nous dégourdir les jambes, fit le notaire { son épouse, qui montra l’exemple et se leva.
Nous prendrons le café en jouant aux charades. A moins que vous ne préfériez le trictrac, cher docteur.
— J’aimerais beaucoup le trictrac, mais les parties sont trop longues.
— Que diriez-vous alors d’une partie de manille avant de partir ?
— Je ne connais pas ce jeu, répondit Talham.
— C’est simple, vous verrez. Il s’agit de faire un certain nombre de levées, expliqua Viger.
Tous passèrent dans l’autre partie de la chambre de compagnie qui servait aux distractions. Familier avec les habitudes de la maison, le jeune Viger installa au centre de la pièce la table de jeu à abattant qui se trouvait le long du mur, plaça tout autour de belles chaises recouvertes d’un riche tissu fleuri et retira un jeu de cartes d’un petit tiroir de la table. Les hommes s’assirent et Viger distribua les cartes.
Marguerite s’assit sur le sofa, { l’invitation de la maîtresse de maison.
— Nous aurons bientôt du café, annonça Rosalie qui revenait de la cuisine.
— Madame Talham, parlez-nous de vos noces, demanda courtoisement madame Papineau. Un mariage avant le carême a dû attirer toute votre parenté. Les gens aiment à se réjouir avant d’entrer dans cette période de sacrifices et d’abstinence.
— On ne peut pas dire ça, madame, répondit Marguerite, embêtée par la question.
— C’est un peu ma faute, en quelque sorte, confessa faussement le docteur. Lorsque je me suis résolu à faire ma demande, le jour de l’Epiphanie, il ne restait guère de temps pour organiser une grosse noce.
Le notaire Papineau avait remarqué l’embarras des époux Talham chaque fois qu’il était question de leur mariage. Se disant qu’il finirait bien par connaître le fin mot de l’histoire, il s’empressa de tirer ses invités de ce mauvais pas.
— C’est bien Jean-Baptiste Bédard, le curé de Chambly?
Le frère de Pierre-Stanislas, l’avocat, mon collègue { la Chambre ?
— Vous ne vous trompez pas.
— Un curé dépareillé qui ne passe pas son temps à radoter, à prêchouiller pour faire peur aux bonnes femmes comme certains autres. Je connais bien l’autre frère, Joseph Bédard, l’avocat de Montréal, qui ne dit que du bien de son frère. Famille canadienne exceptionnelle, que ces Bédard.
Belle réussite. Trois dans les ordres dont un sulpicien, un notaire et deux avocats.
— Et monseigneur Denault vous a accordé facilement la dispense de bans ? demanda madame Papineau qui revenait sur les détails du mariage.
— C’est bien cela.
— Alors, tout est bien qui finit bien, conclut le notaire en mettant ainsi le point final à ce sujet délicat.
Après une première partie de cartes, Marguerite retenait avec peine des bâillements intempestifs. Son mari donna le signal du départ et les Talham repartirent chez Dillon pour leur dernière nuit à Montréal. Ils arrivèrent rapidement au Montréal Hôtel. Le docteur paya le cocher et tous deux montèrent, fourbus. Ce qui n’empêcha pas Alexandre de manifester { sa jeune épouse toute l’étendue de sa tendresse.
La deuxième chambre ne servait déj{ plus qu’{ entreposer les
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