Marguerite
soit faite ! »
Le temps se couvrait. Il faisait gris et il n’allait pas tarder à neiger.
— Souhaitons que la neige tombe plus tard, en fin de journée, avait dit Talham à Marguerite. Sinon, nous devrons coucher en chemin.
Le ciel l’avait entendu. La neige n’avait commençé {
tomber qu’{ la brunante, alors qu’ils atteignaient les abords de la Petite Rivière. Une épaisse couche recouvrait déjà la traverse de chevaux qui menait au chemin du Roi, et la carriole passa difficilement. On ne voyait plus à vingt pieds tant la neige était dense. Si le vent se mettait de la partie, la poudrerie rendrait tout déplacement impossible.
Le vent se leva au moment où la carriole s’arrêtait devant la maison du docteur, heureusement l’une des premières {
l’entrée du village, { quelques arpents du carrefour. C’est {
peine si on voyait le chemin, et il était impossible de distinguer le bassin de l’horizon complètement bouché. Demain, il faudrait sortir les lourdes pelles pour déblayer, faire des passages et déneiger le devant de la maison. Le docteur espéra que le temps s’emmieuterait: il devait reprendre ses visites après avoir vu le curé qui l’informerait des cas graves.
Les volets étaient fermés, mais une faible lueur filtrait à travers les interstices.
— Charlotte n’est pas couchée, constata Talham, impatient de retrouver son intérieur et ses habitudes.
Bien sûr, tout changerait avec la nouvelle maîtresse de maison qui organiserait les aîtres à sa manière. Huit années de deuil, c’était bien assez.
Fourbue, Marguerite éprouva un curieux serrement au cœur : sa nouvelle vie commençait. Elle venait de vivre les jours les plus singuliers de sa vie. De quoi serait fait demain ?
Désormais, elle aurait même une servante à son service.
Talham lui ouvrit cérémonieusement et s’inclina galamment devant elle :
— Te voici chez toi, ma mignonnette.
Marguerite allait sourire { son mari lorsqu’elle aperçut, dans l’embrasure de la porte, Charlotte Troie; la jeune femme crut que les yeux de la servante sortiraient de leurs orbites.
— Charlotte, voici ta nouvelle maîtresse, présenta le docteur en souriant.
Talham croyait, naïvement, que la servante serait heureuse d’avoir { nouveau une maîtresse et qu’elle accueillerai!
la nouvelle madame Talham avec des démonstrations de joie. Or, il n’en fut rien.
Charlotte éprouva un violent sentiment de trahison.
C’était donc vrai ! Le docteur s’était remarié sans rien lui dire. — Bonsoir Charlotte, fit timidement Marguerite, épuisée par le voyage.
La servante jeta un regard mauvais vers l’intruse. Sans dire un mot, ni même souhaiter la bienvenue au docteur, elle retourna à sa chambre et claqua la porte.
— Sans doute l’effet de la surprise, dit Alexandre à Marguerite d’un ton rassurant. Demain, tout ira mieux.
J’aide l’engagé { décharger la carriole et je reviens de suite.
Mais Marguerite sentit tout { coup qu’elle n’était pas au bout de ses peines. Elle n’avait pas l’habitude des servantes et ignorait comment s’adresser { elles. La maison était plongée dans une quasi-obscurité. Seule la lueur vacillante d’un martinet permettait de distinguer le contour des meubles. Marguerite finit par trouver de quoi s’éclairer et s’assit sur un sofa, en attendant que son mari rentre à son tour.
Chapitre 13
Le mal joli
Les derniers jours du mois d’août étaient plus chauds qu’{ l’ordinaire et la canicule sévissait, sans un brin de vent pour rafraîchir les habitants de Chambly qui suaient à grosses gouttes en terminant les récoltes.
Le docteur Talham arrêta sa calèche devant la maison rouge. Sur l’une des chaises de la galerie, Monsieur Boileau s’éventait avec ce qui semblait être une lettre.
— Talham. Quel plaisir ! On ne vous voit plus.
— Vous savez bien pourquoi, mon cher Boileau. Votre épouse désapprouve mon mariage. J’ai l’impression qu’elle nous boude et Marguerite en est bien malheureuse, vous savez.
— Ne vous en faites pas trop, Talham. Vous verrez, tout s’arrangera naturellement avec l’arrivée de l’enfant.
Monsieur Boileau soupira. Malgré ses beaux discours sur les malheurs de Marguerite et l’esprit chevaleresque du docteur, madame Boileau était devenue aussi rêche et moralisatrice qu’une demoiselle Niverville { l’égard des Talham. C’était pourtant tout le contraire de sa bonne nature. Mais
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