Marguerite
bagages.
*****
Anxieuse, Charlotte Troie se réchauffait auprès du feu, espérant que son maître, le docteur Talham, arriverait bientôt de Montréal. Une petite neige fine avait commencé
{ tomber. D’ici une heure, le temps commencerait { se gâter. «Il est temps que le docteur revienne, songeait la jeune femme, je ne sais plus quoi répondre à tous ceux qui viennent le quérir. Depuis son départ, on dirait que tout le monde tousse et mouche dans la paroisse. »
Charlotte n’aimait pas se retrouver seule dans la grande maison. L’été, elle ne s’inquiétait jamais. Mais l’hiver, avec le soir qui tombait de bonne heure, les tempêtes et le noroît, elle était craintive malgré la présence rassurante de l’engagé.
Le docteur s’absentait rarement plus de trois jours, mais cette fois, il y avait bien cinq jours qu’il était parti.
Mais ce soir, ce n’était pas tant la peur qui la troublait plutôt que ce que son amie Perrine, la servante chez les Bresse, lui avait rapporté l’autre jour. Avant de partir pour Montréal, avait affirmé celle-ci avec aplomb, le docteur se serait marié !
— Voyons donc, si ça a du bon sens ce que tu me dis là, avait énergiquement protesté Charlotte.
— Je te jure, Charlotte, que c’est la vérité. Avec mademoiselle Lareau, la nièce de Monsieur Boileau. C’est sa dame qui l’a dit l’autre jour { l’heure du thé. Même que monsieur de Rouville était l{. Et mademoiselle Agathe m’a tout rapporté.
— Si mon maître était marié, rétorqua Charlotte, je le saurais mieux que toi, tu ne penses pas? Tu mens comme tu respires !
Charlotte avait décidé de ne plus jamais adresser la parole à Perrine. Mais depuis, les mensonges proférés par la servante la turlupinaient. Pourquoi le docteur lui aurait-il caché une chose aussi importante? Et que lui arriverait-il,
{ elle, Charlotte Troie, s’il se remariait? Elle avait toujours habité chez lui, depuis que madame Appoline avait signé un contrat chez un notaire pour son engagement, alors qu’elle n’avait que douze ans. L’immense chagrin qu’elle avait eu lorsque madame Appoline était morte. . Elle lui avait appris à lire et à écrire, et dans son testament, sa chère maîtresse lui avait légué tous les meubles qu’il y avait dans sa chambre, et même sa belle pendule en cuivre.
Charlotte avait maintenant vingt-huit ans. Elle ne pouvait pas imaginer sa vie autrement que chez le docteur, à son service. A son âge, il commençait à être tard pour se marier.
Augustin Proteau, de chez Monsieur Boileau, se posait en prétendant, mais elle et lui se disputaient continuellement.
Heureusement, il n’y avait pas de meilleur maître que le docteur Talham. Du moment que son repas était servi chaud lorsqu’il rentrait de ses visites ou après ses consultations, il était content. Chez lui, elle aurait toujours sa place, ne fut-ce qu’en souvenir de madame Appoline. «Ma bonne Charlotte, disait-il souvent, si tu veux rester à mon service, tu restes. Et si tu choisissais de partir ou de te marier, je te doterais comme le ferait un bon père de famille. »
Même le docteur était trop vieux pour se marier. Les grandes révélations de Perrine n’étaient que des racontars.
Elle en était l{ dans ses pensées lorsqu’elle entendit le bruit d’une carriole.
— Réveille-toi, dit-elle { l’engagé, Baptiste Ménard, qui s’était endormi près du feu. Vite. Le docteur arrive.
*****
Avant leur départ de Montréal, Marguerite et Alexandre s’était rendus à la chapelle Notre-Dame-de-Bonsecours pour entendre la basse messe. Marguerite avait prié ardemment la Vierge miraculeuse. Qu’Elle protège son enfant des méchancetés de son véritable père. Et elle avait remercié Dieu de lui avoir donné un si gentil mari.
Le docteur aussi s’était plongé dans la prière. Sa foi était profonde. L’existence de Dieu était la seule explication {
l’impuissance de la médecine face { la maladie : la volonté divine régentait tout du haut des deux. Mais si Talham respectait Dieu, il se mesurait à Lui en déployant tout son savoir, espérant qu’un jour les hommes finiraient par trouver les remèdes qui sauveraient des vies. Talham avait la foi, il croyait en Dieu, mais aussi en la science des hommes. Là résidait l’espoir. Il avait demandé au Tout-Puissant de protéger Marguerite des dangers de l’accouchement. « Que la nature lui soit favorable, que Votre volonté
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