Marguerite
tous, des écoles de niveau supérieur aux petites écoles élémentaires.
— Vous admirez donc ce tyran qui gouverne la France, docteur Talham ?
— J’ai trop vu la misère du peuple causée par les privilèges d’une noblesse paresseuse et arrogante.
— Oui, mais Bonaparte est l’ennemi juré de l’Angleterre. Quoique. . Je conçois le déséquilibre provoqué par une trop grande richesse entre les mains de quelques familles. Saprelotte, je peux vous certifier que certains membres de notre noblesse canadienne sont criblés de dettes !
Marguerite écoutait ces beaux discours de toutes ses oreilles sans trop comprendre.
— Les hommes de valeur ont l’obligation de servir la société, poursuivit le docteur. Et ceux que la naissance a privilégiés ont des devoirs envers leurs semblables.
— C’est pourquoi ils sont nommés { la Chambre. Sauf que les membres du conseil exécutif passent leur temps à défaire le travail du conseil législatif, rétorqua Papineau.
J’avoue que je préfère toutefois être élu par mes pairs que nommé par le gouverneur au conseil exécutif. J’en connais quelques-uns qui ne sont bons qu’{ afficher leur bonne fortune. La seule chose qu’ils savent faire, c’est de se croiser les bras.
Talham s’attaqua au saumon.
— Si je puis me permettre d’être en désaccord avec vos affirmations, intervint le jeune Viger, à mon avis, tout homme, riche ou pauvre, a le devoir impérieux d’acquérir à la fois la connaissance des sciences et des lettres, et aussi, celui de servir son pays.
— Explique-nous donc cela, monsieur mon neveu, fit le notaire qui aimait bien la polémique.
— Si le peuple est instruit, il aura l’aptitude qu’il faut pour voter sur les décisions qui engagent la nation. C’est dans l’instruction et dans la connaissance que se situe la dignité de l’homme. Nos familles n’en sont-elles pas la preuve ?
— Que voulez-vous dire ? demanda Talham.
— Eh bien, messieurs, vous et moi avons eu la chance de faire des études, et l’instruction nous a permis de pro-gresser individuellement, d’atteindre la respectabilité et d’aspirer { de hautes fonctions. Instruisons nos populations et la démocratie en sera la grande gagnante.
Les deux hommes plus âgés en convinrent, sans toutefois se départir de leur scepticisme. Difficile d’imaginer qu’on puisse un jour réussir à instruire toute la population.
— Il faut ouvrir des écoles pour les enfants dans toutes les paroisses, affirma le jeune homme.
— Pour ce faire, il faudra museler ce sacré clergé, maugréa Papineau.
Ses multiples occupations ne lui avaient pas permis de participer au débat entourant la création des « Institutions royales sur l’avancement des sciences », un nom pompeux pour désigner des écoles élémentaires. Le bill, voté en 1801, permettait de payer le salaire d’un instituteur. Mais le clergé, qui craignait comme la peste que les institutions royales ne cachent une quelconque manœuvre de « protes-tantisation » de leurs ouailles, avait décrié cette nouvelle loi.
A quelques exceptions près, il n’y avait pas plus d’écoles primaires dans les paroisses du Bas-Canada à ce jour que deux ans plus tôt.
Mais madame Papineau n’aimait pas qu’on critique le clergé à sa table.
— Mon ami, je vous prie, évitez de prononcer des paroles malheureuses. . blasphématoires, devant nos invités.
Le jeune Viger vint { l’aide de sa tante en changeant de sujet. Il annonça simplement:
— Figurez-vous que j’ai reçu hier une lettre de mon ami René Boileau, votre cousin, madame Talham. Comme je regrette de ne pas l’avoir apportée pour vous en lire quelques passages.
— Ça, c’est bien toi, se moqua sa cousine. Mesdames et messieurs, nous aurions su les dernières nouvelles de France, et madame Talham aurait eu la joie d’entendre celles de son cousin, mais monsieur Viger a bêtement laissé la lettre chez lui. Puisque ta maison est à deux pas, cours chez toi la chercher, ordonna-t-elle en plaisantant.
—Je vous en prie, Rosalie, il ne faut pas obliger votre cousin à sortir par ce froid pour une simple lettre, plaida courageusement Marguerite en pensant le contraire.
— C’est la voix de la raison qui parle avec vous, chère madame, clama le notaire. Mon neveu peut certainement nous en faire un résumé sans courir, se mouiller et prendre froid. Inutile de risquer une échauffaison. Alors, que dit ce jeune homme qui a la
Weitere Kostenlose Bücher