Marguerite
j’hésite { l’envoyer enquêter là-bas. Je vous le dis, Panet, le diable lui-même serait de la partie que ça ne m’étonnerait pas !
— Cela dit, vos craintes sont fondées. Il importe surtout de prendre la bonne décision. L’église Saint-Joseph doit être reconstruite sur le meilleur site possible, pour le plus grand bien de tous les paroissiens de Chambly.
« Et sans que la dispute se rende aux oreilles du gouverneur Thomas Dunn, se dit Panet. »
— Voilà enfin des paroles sensées, messire Panet, fit l’évêque. Quel est votre conseil ?
— Puisque vous me le permettez, répondit messire Panet avec déférence, Votre Grandeur doit mander messire Cherrier pour une enquête. Cette charge lui appartient. Que Cherrier se rende sur place et recueille les témoignages afin de vous donner les commodo et les incommodo desdits emplacements.
Si vous ne procédiez pas de cette manière, on dira encore pis que pendre sur l’évêque de Québec. En attendant, messire Bédard devra se contenter de son hangar-église, dans sa sacristie. Attendre quelques mois n’est pas la fin du monde.
— Vous êtes la sagesse même, Panet, et je n’en attendais pas moins de vous, conclut Monseigneur, radouci. Faites appeler mon secrétaire que j’écrive immédiatement {
Cherrier et à Bédard.
L’évêque dicta ses lettres et retrouva momentanément sa tranquillité d’esprit. Ce qui lui permit de faire servir un excellent thé de sa réserve personnelle et des gâteaux, à la manière anglaise. Les deux hommes s’entretinrent { tête reposée de la pertinence d’un voyage de Monseigneur {
Rome. Puis, ils laissèrent là les soucis du diocèse et entamèrent une partie d’échecs.
*****
Une luxueuse berline se dirigeait vers le presbytère Saint-Joseph, creusant deux profondes ornières boueuses sur le chemin du Roi. À travers la vitre de la portière de la voiture fermée, Monsieur Boileau considérait l’espèce de hangar construit à la hâte avec des planches de fortune à l’intérieur des ruines de l’église incendiée. Autour, des amoncellements de pierres noircies attendaient qu’on les nettoie afin de resservir { nouveau. Le cœur chaviré, le bourgeois détourna les yeux de ce tableau lugubre. Il se signa, tristement. Ce spectacle désolant finirait par devenir la honte de Chambly. Les nouvelles de Québec tardaient et plus le temps passait, moins Pévêque semblait pressé d’autoriser la reconstruction avant l’hiver. D’ailleurs, il était déj{
trop tard pour entreprendre quoi que ce soit. Octobre était triste et la situation, désespérante.
«Monseigneur finira par entendre raison et donner les autorisations nécessaires», se répétait le bourgeois. Le silence obstiné de l’évêque demeurait incompréhensible.
Déplacer l’église était tout simplement impensable. Pourtant, rien ne laissait présager qu’il y aurait une nouvelle église l{ où s’élevait autrefois le temple érigé par les générations précédentes. Le cœur amer, il évoqua ses parents, oncles, tantes ou cousins qui reposaient tous au cimetière ou sous les ruines - car ils avaient été nombreux { mériter l’honneur d’attendre le Jugement dernier ensevelis sous leur église. Le sommeil des anciens pionniers en serait à jamais bouleversé si l’église n’était pas reconstruite au même endroit.
La berline s’arrêta devant le presbytère et Monsieur Boileau en descendit.
— Retourne à la maison, ordonna-t-il à Augustin Proteau,
{ la fois son domestique et son cocher. J’ignore à quel moment se terminera notre petite réunion.
— Enfin, vous voici ! s’exclama le curé { la vue de son paroissien. Dites donc, vous avez la mine bien sombre.
Monsieur Boileau retira son chapeau en grommelant.
— A vrai dire, rien ne va plus. L’été a été exécrable et mon verger me donne beaucoup de soucis. Même les abeilles sont toutes { l’envers, avec pour résultat la pire récolte de miel depuis des années.
— Nous ne sommes pas prêts d’oublier l’été 1806, approuva gravement messire Bédard.
— Je pensais à votre vénérable prédécesseur, le bon curé Maynard, enterré dans le chœur de l’église. Le pauvre ! Il doit se retourner dans sa tombe, { l’heure qu’il est. Lui qui avait été si généreux { l’égard de ces gens qui, aujourd’hui, cherchent à mettre le trouble dans la paroisse. Il leur avait accordé bien des privilèges, justement pour compenser
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