Marguerite
réfléchissait. Il imaginait le désespoir de son confrère. Jean-Baptiste Bédard, pasteur attentif au bien-être de ses ouailles, profondément imprégné des Saintes Ecritures et prêtre obéissant à ses supérieurs, était aux prises avec une rébellion dans sa paroisse pendant que son évêque mettait en doute sa parole. Que de morti-fications exigeait parfois le service de Dieu !
— Si vous me permettez, Votre Grandeur, je comprends son impatience. Voilà plus de trois mois que son église a brûlé et il n’a toujours pas obtenu votre permission de reconstruire.
— Mais le ton irrévérencieux de cette lettre, Panet !
L’évêque répétait en suffocant les passages choquants :
«dans la supposition que.. vous n'avez pas daigné y faire réponse.. Vous voyez bien que Bédard cherche à me provoquer. »
— J’ai de la difficulté { prêter { Jean-Baptiste Bédard des intentions de provocation { l’endroit de Monseigneur, ou de quiconque, d’ailleurs, avoua le coadjuteur.
— Pourtant, cela ne m’étonnerait guère, rétorqua sèchement Plessis. L’irrévérence doit être un trait de famille chez, les Bédard ! Voyez comment se comportent son frère et son Parti canadien !
Messire Panet comprenait que cette dispute de clocher pouvait menacer le fragile équilibre du clergé catholique canadien. En réalité, l’évêque du plus grand diocèse d’Amé-
rique du Nord ne disposait d’aucun statut légal. Il avait fallu user de diplomatie et négocier longuement avec la Couronne afin qu’elle approuve le choix des autorités religieuses - un choix éclairé, s’il en était - et qu’elle entérine la nomination du nouvel évêque de Québec et de son coadjuteur. Cette nomination devait passer par Londres, et cela, monseigneur Plessis ne pouvait pas se permettre de l’oublier.
Or, le curé de Chambly était le frère de Pierre-Stanislas Bédard, le chef du Parti canadien { la Chambre d’assemblée, celui qui dénonçait publiquement les agissements du gouvernement en l’accusant de favoriser les marchands anglais.
Derrière Bédard se rangeait toute la classe bourgeoise canadienne qui s’affirmait de plus en plus devant le gouvernement colonial. Ce qui n’aidait guère son clergé. Ces bourgeois étaient les mêmes qui soutenaient Jean-Baptiste Bédard à Chambly.
Messire Panet était bien placé pour savoir que Bédard n’était pour rien dans les hauts faits de son frère Pierre-Stanislas; son propre frère, Jean-Antoine Panet, avait été le premier orateur de la Chambre et faisait encore beaucoup trop parler de lui pour la tranquillité d’esprit du coadjuteur.
Les considérations politiques ne devraient pas affecter la construction d’une nouvelle église { Chambly et l’intégrité de son curé.
— Vous savez bien que Bédard a plus de goût pour la prière que pour la bagarre, plaida messire Panet. C’est un homme doué,
doté
d’un
tempérament
conciliant
comme
il
s’en fait peu. Vous-même affirmez { tout venant que c’est l’un de vos meilleurs pasteurs: habile au prône comme au confessionnal, rappela-t-il à son supérieur en croisant ses longs doigts maigres comme s’il entrait dans une profonde méditation.
— La peste soit de tous ces Bédard ! s’exclama monseigneur Plessis, excédé.
Le regard furibond de l’évêque n’ébranla pas messire Panet. Contrairement { l’évêque qui était tout en rondeur, le curé de Rivière-Ouelle était un homme grand dont le corps efflanqué appréciait à sa juste valeur le fauteuil bien rembourré dans lequel il était assis. Ses yeux, au regard empreint de bonté et de l’amour de son prochain, creusaient son visage émacié qui respirait la charité chrétienne. Son sens aigu de la justice saisissait la gravité de la situation. Il adopta une attitude de prière, attendant patiemment que Monseigneur reprenne ses esprits.
Le prélat était dépassé par les événements et sa décision devait être le fruit d’une réflexion mûrie. Panet avait la certitude que si l’évêque donnait raison aux paroissiens rebelles, il le regretterait amèrement. Il préféra poursuivre subtilement sa plaidoirie en faveur du curé Bédard qu’il imaginait malheureux comme les pierres de son église détruite. Mais il fallait agir avec doigté.
— Quelle abominable chicane qui veut anéantir une de nos vieilles paroisses ! Deux requêtes de la part des paroissiens du fief Jacob, m’avez-vous dit, arrivées coup
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