Marguerite
sur coup, reprit Panet comme s’il réfléchissait { voix haute. La première demande à Votre Grandeur de créer une nouvelle paroisse. C’est compréhensible et légitime si ces habitants disposent des ressources nécessaires pour construire une église, un presbytère et un cimetière. Avant même que vous n’ayez le temps d’y réfléchir, deux jours plus tard arrive une deuxième requête suggérant de déplacer le site de l’église {
leur avantage. Pendant ce temps, comme si un mauvais génie s’amusait { vous compliquer la vie, vous recevez une troisième requête, celle-là venant des villageois et des autres habitants de Chambly qui insistent pour conserver l’emplacement original et reconstruire au même endroit que l’église incendiée, et plus grande. Je ne doute pas que la maison de Dieu à Chambly doive pouvoir accueillir tous ses habitants dont le nombre ne cesse de croître. Ce pauvre Bédard ne doit plus savoir où donner de la tête !
— Et moi donc ! se plaignit l’évêque. J’y perds mon latin.
Mais avouez que les requêtes des habitants du fief Jacob sont troublantes. Ces pauvres gens habitent très loin du village, ajouta-t-il en tirant avec impatience sur sa soutane.
— Si je peux me permettre de faire remarquer à Votre Grandeur, loin de déplorer la perte de leur église, les habitants du fief Jacob vous écrivent que l’incendie arrive {
point pour qu’ils puissent améliorer leur sort! Cela est quelque peu prétentieux, et surtout. . très égoïste. Utiliser à leurs fins un aussi triste événement pour vous forcer la main, c’est indigne !
— Les villageois usent d’arguments identiques pour demander une église plus coûteuse !
Le visage de l’évêque s’assombrit.
— Il est certain que la création d’une nouvelle paroisse aurait été la meilleure solution, reprit le coadjuteur Panet, impassible.
— Vous savez bien que c’est impossible ! répliqua l’évêque, découragé. Déj{, une paroisse sur trois n’a même pas de curé. Et que dire des vicaires ? C’est la pénurie !
Ouvrir une nouvelle paroisse avec si peu d’habitants ? C’est impensable. Je me demande surtout, avança Monseigneur en se lissant le menton, si Bédard n’a pas agi trop promptement et irrité ainsi une partie de ses paroissiens.
— Peut-être Votre Grandeur a-t-elle raison, fit Panet, dubitatif. Les arguments des dissidents me semblent, comment dire, exagérés? Par exemple. .
Panet attira vers lui une très grande feuille de papier comportant près de soixante-dix noms marqués d’une croix.
«. . ils soutiennent que la fatigue de la route est dangereuse et rend leurs enfants malades lorsque ceux-ci se rendent au village pour y recevoir leur instruction chrétienne.
C’est toucher l{ un point sensible, sachant { quel point le nouvel évêque de Québec cherche à augmenter la connaissance du catéchisme chez les habitants, poursuivit-il, trouvant cet argument fort habile, persuadé que quelqu’un leur soufflait les arguments. »
« Des intérêts autres se cachent derrière ces requêtes », se dit-il.
« Que l’église soit située { plus d’une lieue de certaines habitations est chose courante dans nos paroisses», remarqua encore le curé de Rivière-Ouelle.
— Mais
certains
d’entre
eux
habiteraient
jusqu’{
trois lieues de l’église ! déplora Monseigneur. De toute évidence, ils souffrent de ne pas assister souvent à la sainte messe.
— Le curé de Chambly répond à cela que si on déplace l’église de leur côté, ce sont les habitants de l’autre extré-
mité de la paroisse qui seront alors éloignés de l’église et, dans certains cas, de bien plus de trois lieues. D’ailleurs, voyez la carte qu’il a lui-même dessinée pour mieux vous informer. Il a raison. L’emplacement actuel apparaît le meilleur.
— Vous prenez le parti de Bédard, Panet, fit l’évêque en fronçant les sourcils.
— Il le faut, puisqu’il n’est pas l{ pour se défendre, rétorqua calmement le coadjuteur sans se laisser désar-
çonner par le ton sévère de Plessis.
Il poursuivit la lecture des documents.
— Vous ne craignez pas qu’en donnant raison aux rebelles, vous risquiez d’amoindrir l’autorité du curé de Chambly auprès de ses paroissiens ?
— Ce qui ne serait pas nouveau, grogna Monseigneur.
Cette paroisse a toujours été une fille difficile.
— Justement,
Monseigneur,
il
semble
que
depuis
l’arrivée de
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