Marguerite
cet éloignement dont ils se plaignent tant.
Le curé regarda par-dessus l’épaule de Boileau.
— Je ne vois pas votre fils, s’inquiéta-t-il.
— N’ayez crainte, curé. Il est retenu par une affaire urgente, mais il m’a promis d’être ici dans la demi-heure.
Commençons la réunion sans attendre.
Boileau salua les autres hommes réunis autour du poêle dans la grande chambre du presbytère qui servait de salle de réunion aux habitants. Des volutes de fumée s’échappaient des pipes des marchands Joseph Bresse et David Lukin. Le docteur Talham feuilletait distraitement L’Ecole du jardin potager qui tramait sur une petite table parmi quelques autres livres. Le curé laissait à la disposition des habitants des ouvrages utiles comme La Couronne de la vie chrétienne, L’Instruction des jeunes filles chrétiennes, de même qu’une de ses lectures préférées lorsqu’il voulait se détendre, Le Petit Carême, écrit par Jean-Baptiste Massillon { l’intention de Louis XIV enfant. Ceux qui avaient la chance d’avoir quelque instruction pouvaient ainsi faire la lecture aux autres. Le curé avait caressé un temps l’idée d’ouvrir une école primaire de l’institution royale - qui payait le salaire d’un instituteur-, mais il n’avait pas eu le temps. Il offrait des leçons de lecture et d’écriture { quelques enfants doués qu’il repérait au catéchisme du dimanche, mais ces enfants-là avaient déjà dix ans. A part les fils et les filles de bourgeois qu’on instruisait { la maison avant de les envoyer dans les couvents et les collèges, il n’y avait pas d’instruction publique
{ Chambly. Lorsqu’on savait signer son nom, c’était déj{
beaucoup.
À l’exemple de Boileau, les messieurs Rouville et Niverville, ainsi que Ferrière, le capitaine de milice, affichaient une mine aussi dévastée que les lieux consacrés de la paroisse.
— Notre marguillier en charge n’est pas l{ ? s’étonna Rouville.
— Il n’y a plus de marguillier en charge pour le moment, lui apprit Joseph Bresse, qui avait eu l’initiative de convoquer les hommes afin de soutenir le curé et de trouver une stratégie d’action.
— Toussaint Barsalou s’est placé du côté des rebelles.
Le conseil de la fabrique a désigné Augustin Papineau pour le remplacer, mais il a aussitôt démissionné pour cause de maladie.
— Une maladie qui s’attrape dans le fief Jacob, railla Rouville.
— Quel est le motif de cette convocation ? demanda Antoine de Niverville en agitant ses manchettes de fines dentelles.
Le chevalier de Niverville, dernier rejeton de la dynastie des anciens seigneurs français, se voyait investi d’une mission: son devoir était de veiller sur la seigneurie de ses ancêtres, tout en profitant de l’attelage de son voisin Rouville pour se rendre au presbytère.
— Bonne question, l’approuva ce dernier. Avez-vous des nouvelles à nous communiquer, messire Bédard ? À votre air, je dirais que s’il y en a, elles n’ont rien de réjouissant.
— Malheureusement, les échos que je reçois de Québec sont de mauvais augure. Les dissidents ont réussi à ébranler Monseigneur.
Les mines déconfites qui accueillirent cette dernière information en disaient long sur l’atmosphère déprimante qui régnait dans le village de Chambly depuis la fin de l’été.
— J’ai bien envie de lever la cavalerie pour les charger, lança le colonel de Rouville, furieux.
— Je vous suivrais volontiers, fit vivement Joseph Bresse, qui était pourtant un homme mesuré. Comment peut-on être aussi borné ?
— C’est { croire que certains souhaitent la ruine de Chambly, lança David Lukin, qui possédait un magasin, dans lequel il entreposait diverses marchandises pour son négoce, et un quai de déchargement près de l’église.
Le beau-frère du chevalier, époux de Louise de Niverville, donnait rarement son opinion dans les assemblées de paroissiens. Il avait renoncé à sa religion et épousé une catholique.
Ses enfants avaient été baptisés dans cette religion - il lui arrivait même de fréquenter l’église -, mais il ne reniait pas ses aïeux de qui il tenait ses talents de négociant. Si l’église était déplacée, tout le commerce à Chambly en souffrirait, assurément.
Le curé lança un regard interrogateur à Lukin.
— Monsieur le curé, j’ai l’impression que vos paroissiens dissidents sont manipulés par des envieux. Je ne peux m’empêcher de songer
Weitere Kostenlose Bücher