Marguerite
Bas-Canada s’intéressaient de plus en plus aux affaires publiques, sachant que leurs représentants
défendaient
leurs
intérêts
à
Québec
depuis le premier Parlement de 1792.
— Le gouverneur avait décidé qu’il fallait une prison à Québec et une autre à Montréal, expliqua le docteur. Mais il fallait bien payer leur construction et on ne s’entendait pas sur la manière. Pour financer ces fameuses prisons, les marchands anglais préconisaient une taxe foncière qui aurait pesé lourd sur les habitants tandis que les Canadiens proposaient de taxer les produits importés par les marchands anglais.
— Et qui a gagné la bataille ?
— Les députés canadiens ont voté en faveur du projet de taxation sur les importations, mais les marchands anglais ont tout fait pour faire désavouer l’acte.
— Grâce { Dieu, ils n’ont pas réussi ! s’exclama Victoire.
Les habitants ont déjà bien assez à payer et à donner. Quand je pense { toutes les corvées de chemin, en plus de l’église qu’il faudra bien rebâtir un jour ou l’autre. C’est dur pour les familles de la paroisse.
— Et comme monseigneur Plessis, qui est à Québec, tient à conserver ses bonnes relations avec les autorités anglaises, les tensions actuelles lui font peur. C’est lui qui autorisera les dépenses pour la construction de l’église de Chambly, la paroisse du frère de Pierre-Stanislas Bédard.
Marguerite n’en revenait pas. Ce qui, en apparence, semblait si simple { régler, était aussi emmêlé qu’une pelote de laine dans les pattes d’un chat.
— Notre évêque serait contre nous ? Ce n’est pas bien charitable de sa part.
— Je ne pense pas qu’il soit contre nous, reprit Talham, mais dans ce contexte, disons qu’il n’a pas les coudées franches.
— En plus que messire Bédard réclame une église plus grande. Mais je lui donne entièrement raison sur ce point, ajouta Lareau. L’ancienne église devenait trop petite pour le nombre de paroissiens.
Le docteur opina.
— Toutes ces raisons suffisent sans doute à expliquer pourquoi Monseigneur de Québec prête une oreille si attentive aux habitants du fief Jacob, alors qu’en temps normal, il aurait vite rejeté leur requête du revers de la main.
— Voyons donc ! s’exclama { son tour Victoire. C’est contre le bon sens.
— C’est bien vrai, soupira son mari. Et lorsque l’évêque finira par se décider, il faudra que la fabrique entreprenne une série de démarches compliquées. Les commissaires devront à leur tour approuver la dépense. Une fois toutes les autorisations accordées, il faudra établir la répartition des habitants pour déterminer quel montant chaque propriétaire devra fournir pour la construction. Et comme il y en a toujours qui protestent ou essayent de payer moins que les autres, la chicane est loin d’être terminée.
— Ensuite, ajouta le docteur, l’assemblée des habitants élira les syndics qui recevront les propositions des entrepreneurs. Et plus tard, des artisans s’affaireront { meubler et à décorer la nouvelle église.
— Nous en avons pour plusieurs années, ajouta son beau-père. En attendant, espérons que ce monsieur Dunn, qui administre la province en attendant le nouveau gouverneur de Londres, résistera aux pressions des marchands anglais.
— Et que nous obtiendrons un peu plus d’argent pour notre blé, ajouta Victoire.
— Par chance, reprit François, les habitants s’en tirent assez bien ces dernières années. J’en connais plusieurs dans la paroisse qui font plus d’avoine, d’orge et de pois que par les années passées. Sacrédié, y en a même qui cultivent du sarrasin ! Et nous autres, les Lareau, on a notre élevage. Les affaires vont assez bien, conclut le paysan en tirant sur sa pipe pour exprimer son contentement.
— En tout cas, ça ne m’étonnerait pas d’apprendre que de mauvaises gens s’acharnent { compliquer notre affaire d’église, fit Victoire, songeuse, en réfléchissant aux hésitations de l’évêque. Moi, j’ai toujours pensé que le feu n’était pas arrivé par hasard dans le clocher.
Le docteur considéra Victoire. Sa belle-mère était pleine de bon sens et la plupart du temps, ses intuitions s’avéraient justes. Certains allaient jusqu’{ dire qu’elle avait une sorte de don de divination, mais son gendre avait remarqué qu’elle savait surtout se servir de son intelligence. Victoire n’avait jamais fait partie de la
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