Marguerite
le curé sursauta.
— Le mariage ? Mais vous n’y pensez pas sérieusement?
— Elle n’a que seize ans, renifla Bresse.
— Et il est protestant, bondit le curé. Il ne peut être question de mariage, voyons !
— C’est { moi que vous dites cela, Bédard ? rétorqua le docteur d’un air narquois. Vous savez bien que c’est la seule solution.
— Il reste le couvent, suggéra Boileau. Et nous ignorons encore s’il y aura des conséquences, hum ! comment dirais-je
? visibles, { l’enlèvement, fit remarquer le bourgeois qui parlait d’expérience. Mais sa vertu est inexorablement compromise !
— S’il refuse, je lui servirai, { ce gredin, une leçon de mon fouet dont il se souviendra ! s’écria Bresse qu’on avait rarement vu aussi furieux.
— Calmez-vous, monsieur Bresse, dit le docteur. La colère ne vous mènera à rien de bon. Songez plutôt à votre femme et à Clémence et cherchons remède à ce grave problème.
— Vous avez raison, enchaîna Boileau. Il y a certainement une solution honorable à tout ça.
Boileau se félicita que ses filles aient vite compris de quoi il en retournait avec ce satané lieutenant. Avant de s’en prendre à Agathe - ce qui était facile, la jeune fille était une de ces rebelles si facile à enjôler -, il avait tourné autour de la plus jolie fille du pays, sa Sophie. Celle-ci l’avait vite repoussé avec une moquerie à sa manière.
— Un enlèvement! soupira le docteur, encore surpris. Qui aurait cru qu’une chose pareille puisse arriver { Chambly?
Encore une fois, Talham s’étonnait de la turpitude des hommes. Quel besoin un lieutenant anglais avait-il d’enlever une jeune fille de bonne famille ?
— Je ne serais pas étonné d’apprendre que l’uniforme du bel officier est cousu de dettes, fit Bresse d’un ton rageur.
— Avec des soldats au village et quelques écervelées qui frémissent { la vue d’un uniforme, il faut s’attendre au pire, morigéna le curé.
— Allons, messieurs, gronda le docteur. Nous ne pouvons rien faire pour ce soir. Demain s’annonce éprouvant.
Monsieur Bresse, votre épouse a besoin de votre réconfort.
Bédard a un service à chanter demain et, pour ma part, je n’arrive plus { tenir l’œil ouvert .
— Oh ! s’exclama le curé. C’est vrai qu’avec tout ça, j’oubliais l’enterrement de la vieille madame Vincelette, {
onze heures. Mon Dieu ! Mon Dieu ! fit-il en se prenant la tête entre les mains, atterré.
— Croyez-vous que Monseigneur accordera la dispense nécessaire ? s’informa monsieur Bresse.
— Doux Jésus ! Mais où avais-je la tête ? C’est vrai qu’il faudra une dispense, s’exclama le curé. Misère ! Il me faudra encore écrire à Monseigneur Plessis pour quémander une nouvelle faveur. Encore des réprimandes ! Encore des reproches sur la moralité de mes paroissiens !
— Soyez sans crainte, le rassura Boileau en étouffant un bâillement, pressé de retrouver son lit. L’évêque ne laissera jamais une fille de bonne famille vivre dans le concubinage.
Il l’accordera, cette dispense. Ce qui me tracasse, c’est le lieutenant. Acceptera-t-il de l’épouser?
Ces derniers mots plongèrent Joseph Bresse dans une profonde affliction. La situation d’Agathe était désespé-
rante. Et ce qu’elle avait fait, en se laissant enlever délibé-
rément, était odieux; un geste profondément égoïste. Il était vrai qu’Agathe était bien jeune, mais ce n’était pas vraiment une excuse.
Il fut convenu que le lendemain, messire Bédard et Monsieur Boileau se rendraient au fort pour faire entendre raison au lieutenant Me Ghie. Joseph Bresse était trop éprouvé pour discuter calmement.
*****
Marguerite était atterrée par ce que son mari venait de lui apprendre. Agathe Sabatté s’était laissé enlever par le beau lieutenant pour se faire épouser. A seize ans !
Ce fut le principal sujet de conversation lorsqu’Einmélie lui rendit visite. Les deux jeunes femmes brodaient une couverture pour la petite Appoline, filleule de Marguerite Penchées sur leur ouvrage, elles échangeaient leurs réflexions.
— Nous
parlons
toujours
de
mariage,
remarqua
Marguerite.
— Ce qui me frappe, dit Emmélie, songeuse, c’est que chaque fois qu’on demande l’opinion d’une jeune fille sur ce sujet, peu importe laquelle, elle dira qu’elle rêve d’un mari qui est comme ceci ou comme cela, suivant ses propres goûts et son inclination. Les jeunes
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