Marguerite
dirigeant vers un groupe de jeunes filles.
Emmélie et Sophie Boileau causaient avec Julie de Rouville près de l’endroit où on servait les rafraîchissements. De grandes tables recouvertes de nappes blanches étaient dressées sur des tréteaux, près d’un mur du manoir, et les servantes y disposaient divers mets: de l’anguille séchée, du boudin frais grillé, des rôts de bœufs et des jambons. Un engagé servait du rhum ou de la bière d’épinette { qui en voulait. De petits groupes s’étaient formés autour et les conversations allaient bon train.
Les jeunes filles bavardaient à bâtons rompus et riaient ensemble, comme si elles étaient seules au monde. Emmélie aperçut Marguerite et lui adressa un petit signe de la main, l’invitant { se joindre { elles. Sophie avait entrepris une conversation passionnante avec la demoiselle de Rouville sur les couleurs à la dernière mode des rubans annoncés dans les gazettes. Intéressée, Marguerite s’approcha et Emmélie lui saisit la main.
— Mademoiselle de Rouville, présenta-t-elle, voici notre chère cousine Marguerite Lareau, notre amie d’enfance.
Julie examina la jeune fille d’un regard rapide, jugea sa tenue typique des femmes du commun et détourna la tête vers Sophie. Marguerite commençait { regretter d’être venue.
Elle souhaita soudainement se retrouver chez elle, bien au chaud, dans l’univers familier et rassurant de la ferme. Elle fit une courte révérence, puis un pas en arrière pour ne pas s’imposer et fit mine de s’intéresser aux derniers vestiges du jardin dégarni pour dissimuler le petit pincement au cœur qu’elle ressentait. Habituée { être traitée sur un pied d’égalité avec ses cousines, la demoiselle de Rouville lui faisait comprendre tout d’un coup qu’elle n’était pas { sa place.
Mais Emmélie insista en ajoutant, d’un ton enjoué :
— Rappelez-vous la ravissante câline de Sophie que vous aviez tant admirée, l’été dernier, au pique-nique des Boucher de la Brocquerie. C’était l’œuvre des doigts de fée de Marguerite. Elle fabrique aussi les plus jolis chapeaux de paille qui soient. Les dames de Montréal les réclament en grand nombre, si on peut croire les dires de ce marchand juif qui fait le tour de nos campagnes, au printemps, pour acheter les chapeaux tressés par les filles de nos cultivateurs.
Et Marguerite est la plus habile de toutes, puisqu’il lui en redemande chaque année.
— Ah, oui ? fit Julie en manifestant un certain intérêt, comme si Marguerite venait d’apparaître, subitement.
Pourriez-vous me réserver votre plus beau chapeau pour le printemps prochain ? Quand pensez-vous qu’il pourra être prêt? Je le ferai chercher chez vous.
— Certes, mademoiselle, répondit Marguerite en dissimulant son dépit derrière un sourire timide.
La demoiselle la considérait comme une simple ouvrière ou une marchande de grand chemin. Mais elle ravala le camouflet et se composa un visage avenant en se disant que mademoiselle de Rouville s’intéressait { ses talents de couturière, tout comme Sophie. C’était déj{ un premier pas.
— Mais pas avant d’avoir confectionné celui que tu m’as déj{ promis, n’est-ce pas ma chère Marguerite ? interrompit l’impertinente Sophie, qui n’hésitait pas { se voir comme l’égale de la demoiselle de Rouville.
— Ne t’inquiète pas, les deux chapeaux seront prêts pour l’arrivée du printemps, la rassura Marguerite.
Vêtue d’une légère robe de soie verte sur laquelle s’ajus-tait un joli spencer noir boutonné, Sophie était beaucoup trop élégante pour la circonstance. La jeune fille désinvolte s’habillait { sa guise, et sa mère avait renoncé depuis longtemps à lui faire entendre raison sur ce point. Emmélie, par contre, qui prenait son rôle d’aînée au sérieux et ne lui épargnait pas ses commentaires.
— Vraiment, Sophie ! Nous n’allons pas au bal, mais {
une fête champêtre, lui avait-elle fait remarquer ce matin-là, lorsque les deux sœurs s’apprêtaient { partir.
Sophie avait répliqué par un grand éclat de rire en nouant le ruban de son chapeau sur le côté de sa joue rose en un gracieux nœud qui attirait le regard sur son teint clair et soyeux. Sa capeline, recouverte du même tissu que sa robe, mettait en valeur ses grands yeux bleu foncé qu’elle tenait de sa mère.
Emmélie, plus mince et plus grande, préférait s’habiller sobrement et affectionnait les
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