Marguerite
prend pour un gentleman, lança-t-il du haut de sa morgue. La belle affaire, puisqu’il devra gagner sa vie comme tabellion, insista-t-il avec arrogance.
Un simple notaire de village ! Il n’a pas la naissance pour convoiter des postes dans lé gouvernement. Avec mon seul nom, j’obtiendrai facilement la fonction de juge de paix, tout comme mon père et mon grand-père. Un Boileau peut être élu député à la chambre législative, ajouta-t-il, méprisant, mais il ne sera jamais membre du conseil exécutif.
— Puissiez-vous avoir autant de charges que d’insolence, cher monsieur de Rouville, riposta vivement Sophie. Et ce que vous dites est faux, puisque notre père vient d’être nommé juge de paix à Chambly. De toute manière, je préfère cent fois un mari qui saura faire fructifier son bien grâce à son intelligence et sa science plutôt qu’un noble personnage criblé de dettes.
— Sophie, ne sois pas si choquante, reprocha gentiment Emmélie en baissant le ton.
«S’il pouvait s’en aller, celui-là», songea Julie, que la présence de son frère horripilait. Depuis qu’il habitait Montréal, Ovide prenait de grands airs et tenait d’insupportables discours sur la noblesse de leurs origines, à croire que les Rouville avaient été du nombre des courtisans du roi Louis XTV! Il lui arrivait de plus en plus souvent d’être blessant envers son unique sœur. Mais aujourd’hui, il était pire qu’{ son habitude. « Sans doute parce qu’il a eu cette terrible dispute avec notre père», se dit encore Julie pour l’excuser. Elle enviait ses amies d’être choyées par un frère qui semblait les aimer tendrement. Les rares fois qu’elle avait pu rencontrer René Boileau, il lui avait semblé courtois et élégant. Le frère de ses amies ne la laissait pas indifférente. Elle soupira en songeant au futur notaire.
— Va-t’en, tu nous embêtes avec tes prétentions, lança-t-elle à son frère. Laisse-nous tranquilles.
Je t’abandonne donc, puisque tu préfères la compagnie de tes chères amies roturières et de leur Cendrillon, riposta Ovide, frustré d’être ainsi congédié.
Il en profita pour lancer à Marguerite un regard méchant.
— Mais pas avant de vous être excusé auprès de notre cousine mademoiselle Lareau, monsieur, exigea alors Emmélie.
— Des excuses à la petite-fille de «l’Indienne» ! Mademoiselle Boileau défend la sauvagesse bec et ongles ! Votre cousine, n’est-ce pas? Voilà qui explique ce teint trop hâlé pour être noble, railla-t-il en glissant un doigt sale sur la joue d’Emmélie sous le regard effaré de sa sœur.
— Vous n’êtes qu’un goujat, dit la jeune fille qui se retenait de gifler l’insolent.
Sophie vint { la rescousse de sa sœur.
— Monsieur l’effronté, puisque vous prétendez { vos quartiers de noblesse, sachez que notre mère est une de Gannes de Falaise.
— Aussi noble que pauvre ! En épousant un roturier, votre mère a abandonné sa noblesse, répondit durement Rouville.
— Qu’importe le rang si on ne sait quoi en faire, riposta
{ son tour Emmélie. Lorsqu’on a la chance d’être bien né, n’avons-nous pas le devoir de nous instruire et de nous appliquer { devenir meilleur? D’augmenter notre science par la lecture et d’acquérir les connaissances qui se trouvent dans les livres afin de s’améliorer et d’être utile !
— Etre utile ! Fi donc, mademoiselle Boileau, que de grandeur !
Excédée, Julie coupa court au flot d’invectives { l’endroit de ses amies.
— Tu es odieux ! Excuse-toi auprès de mes amies, l’intima-t-elle.
— Sotte, siffla-t-il { sa sœur qui retenait des larmes de rage.
Visiblement outragé, il s’en retourna vers le manoir.
«Bon débarras», marmonna Julie en se tamponnant les yeux.
Désolée, Emmélie se sentait honteuse de ne pas avoir su se dominer.
— Mademoiselle de Rouville, nous nous sommes emportées et, sans le vouloir, nous avons vexé votre frère.
— Ne vous tourmentez pas. Vous avez été encore trop bonnes. Il vous a insultées et méritait de se faire réprimander.
Mais croyez-moi, il a bien d’autres préoccupations en tête et, dans un instant, il aura déjà oublié cette conversation.
Chère Emmélie, chère Sophie, que diriez-vous si nous nous appelions par nos prénoms ? suggéra Julie, qui voulait chasser la mauvaise impression laissée par son frère.
Les sœurs Boileau approuvèrent, flattées qu’une demoiselle de la noblesse
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