Marguerite
retrouver vos amies.
En attendant, allons rejoindre vos parents.
— Alors, monsieur Bresse, s’exclama le docteur, vous êtes revenu de Montréal plus tôt que prévu, à ce que je vois ?
— Figurez-vous que j’avais rendez-vous avec l’avocat Joseph Bédard, le frère de notre curé, comme vous le savez sans doute, mais que je l’ai rencontré inopinément dans une auberge de Longueuil. J’ai pu conclure mon affaire sans avoir à traverser à Montréal et être de retour à temps pour accompagner ma chère femme aujourd’hui.
— Vous avez pu faire Palier-retour dans la même journée ? Ça c’est une chance ! Mais puisque nous sommes tous les trois, nous pourrions nous entendre sur l’entretien de notre fossé commun. Votre fermier se plaint-il encore d’un mauvais égouttement de la terre, Boileau ?
— Puisque vous insistez pour en parler, je suis votre homme, répondit Monsieur Boileau en faisant la courbette pour saluer l’épouse de son voisin, Joseph Bresse, la gratifiant d’un regard admiratif.
Malgré la propension de cette dame à répandre les dernières rumeurs, chacune des apparitions de Françoise Bresse le ravissait. C’était une belle femme brune qui conservait une silhouette svelte et anguleuse aux abords de la trentaine.
Quoique trop mince au goût de Monsieur Boileau - une femme bien en chair n’était-elle pas le témoignage vivant de la réussite sociale de son mari ?-, Françoise était l’adora-tion de son époux. Ce dernier portait d’ailleurs les rondeurs qu’il aurait bien voulu voir { sa dame, car même après dix ans de mariage, les Bresse n’avaient jamais eu d’enfant, tôutefois, ils avaient hérité de la noble tâche d’élever les demoiselles Sabatté, Clémence et Agathe, les jeunes sœurs de Françoise âgées respectivement de dix et neuf ans. Malgré son ventre sec, madame Bresse ne semblait pas s’offusquer des enfants des autres femmes. Mais qui pouvait savoir ce que ressentait réellement Françoise Bresse ? Elle n’abordait jamais ce sujet qui la touchait directement, préservant une distance suffisante avec chaque villageoise qu’elle rencontrait. Ne pas avoir d’enfant était une situation suffisamment pénible. Etait-ce pour éviter qu’on parle d’elle que Françoise s’employait { parler des autres ? On la tenait pour la «langue»
la plus alerte de la paroisse. L’année précédente, elle avait été affectée par un deuil douloureux. Celle de ses sœurs avec qui elle s’entendait parfaitement était morte, foudroyée par une péritonite, verdict lourd de chagrin prononcé par le docteur Talham. Françoise avait accusé le choc et pleurait en silence la mort de sa sœur bien-aimée.
Portant le demi-deuil, elle apparaissait en société pour la première fois depuis de longs mois. Seul son voile de crêpe, aussi noir que son regard, témoignait encore de sa peine profonde. En la voyant si amaigrie, madame Boileau espéra que sa voisine Françoise ne fût pas malade, connaissant tous les ravages que font les humeurs mélancoliques sur les nerfs.
— Quel plaisir que vous puissiez enfin sortir de chez vous, lui lança-t-elle sans détour. Je suis heureuse de vous retrouver.
Nous allons enfin mener à bien notre beau projet.
— C’est une excellente idée, répondit simplement madame Bresse. Nous verrons certainement notre curé aujourd’hui et nous lui ferons part de nos suggestions.
Ces dames entamèrent une discussion sur les améliora-tions { apporter { la décoration de l’autel. Le précédent curé n’avait rien voulu entendre { ce sujet, mais messire* Bédard, le nouveau curé de la paroisse, semblait apprécier le dévouement de ses paroissiennes dévotes pour l’ornement et la beauté de l’église.
Le sort de dentelles quelconques constituait un sujet extrêmement ennuyant pour les fillettes. La placide Clémence ne bronchait pas, mais la jeune Agathe Sabatté cherchait à libérer sa main de celle de Françoise, qui se méfiait du tempérament rebelle de la petite fille, marquée sans doute par son état d’orpheline. Pour se venger, cette dernière se retourna vers Marguerite qui l’observait avec amusement et lui tira la langue. «En voilà une qui ne sera pas facile à manier», pensa la jeune fille, forte de son expérience d’aînée de famille et habituée aux moqueries d’enfants. Elle détourna simplement la tête et aperçut enfin ses cousines.
« Les voilà », se dit-elle joyeusement en se
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