Marguerite
élevée en se tenant loin des garçons. Tant qu’il n’y avait pas de mariage en vue, inutile d’instruire les jeunes filles sur ce qui se passait entre époux.
On ne parlait pas de ces choses-là avant le temps.
—Voyons donc, Marguerite ! Un garçon t’a touchée et tu t’es laissée faire, ma pauvre fille.
— C’est sûr qu’un homme l’a touchée. On connaît pas d’autre méthode, avait ricané la voix chevrotante de Mémé Lareau.
La vieillarde édentée s’était avancée, chambranlante sur sa canne, s’éclairant { la flamme vacillante d’un vieux martinet qu’elle tenait de sa main libre, heureuse de fustiger sa belle-fille.
— T’aurais dû me le demander ! Ça se voit dans les yeux, ces affaires-l{, s’était vantée la grand-mère en brandissant le bout de sa canne vers Marguerite. Ça te rabat le caquet, hein, ma bru ! La fille de la fière Sachette, grosse d’un inconnu ! Et trop innocente pour s’en rendre compte { part de ça.
— Vous saviez, puis vous n’avez rien dit ?
— Ça t’apprendra ! dit sa belle-mère en affichant un air triomphant. Vous autres, du clan Boileau, vous vous croyez les plus malins, mais vous êtes pareils que les autres, ni plus ni moins.
La vieille s’était tue un instant, puis avait lancé {
Victoire :
— Tu vois pas qu’elle a peur? Quelqu’un l’a forcée.
Fais-la travailler, ta petite princesse, peut-être que le petit est mal accroché. .
Sur ce conseil sordide, la vieille s’en était retournée { sa chambre en trottinant péniblement, sans un mot de réconfort pour Victoire ou sa petite-fille.
— Marguerite, avait demandé Victoire, c’est vrai, ça ?
Quelqu’un t’a forcée ? Faut me le dire, avait-elle doucement insisté.
Mais une expression de terreur avait envahi le visage de Marguerite en se rappelant ce qui s’était passé dans l’écurie.
Elle avait pourtant essayé de s’enfuir. Comme elle aurait voulu se justifier auprès de sa mère, mais les menaces d’Ovide de Rouville la muselaient et des larmes muettes avaient glissé à nouveau sur ses joues.
Par la suite, Victoire avait eu beau harceler sa fille de questions, lui servir de sévères remontrances sur les filles faciles ou la menacer d’enfermement dans un couvent, rien n’y avait fait. Marguerite était restée muette sur son malheur, affirmant ne pas se rappeler. Elle avait tellement maigri ces dernières semaines, malgré l’enfant qu’elle portait, que sa mère s’inquiétait pour sa santé.
— J’ai honte, mère, tellement honte, avait murmuré la jeune fille avant de se confiner dans un silence douloureux.
Consternée, c’était le seul aveu que Victoire avait pu obtenir.
*****
Pendant qu’elle se préparait, son mari et ses fils étaient finalement rentrés, affamés. Marguerite avait préparé une tourte { la viande qu’elle déposa, chaude, sur la table.
— Y a pas mal de dégâts, annonça François à Victoire, entre deux bouchées. Deux toits à refaire entièrement. On prendra les animaux des Tétrault chez nous, leur étable s’est effondrée. En échange, Tétrault et son gars nous aideront
{ refaire le toit de notre grange. Dès qu’il fera beau, on pourra reconstruire son bâtiment pour qu’il soit prêt avant les semailles. On dirait bien qu’un malheur en attire un autre, marmonna-t-il avec un regard en direction de Marguerite, toute penaude dans son coin, tout en finissant son assiette.
— Tais-toi donc! répliqua vivement Victoire. Puis va m’atteler la jument que je parte prestement.
Il lui jeta un regard furieux et sortit. La mise soignée de sa femme qui s’était endimanchée pour se rendre au village, la situation de Marguerite et le secours qu’il fallait qué-
mander au cousin Boileau, tout cela chamboulait l’habitant.
Au grand jamais, François Lareau n’aurait pu imaginer qu’un pareil scandale puisse survenir au sein de sa famille.
Dire que le curé les citait en exemple du haut de sa chaire, avec leurs beaux enfants en santé. Il en avait éprouvé trop d’orgueil et le malheur de sa fille était sa pénitence.
Lareau ne pouvait oublier la scène qui avait suivi la révélation de Victoire, le soir de ce jour où elle avait découvert l’abominable forfait.
Il avait violemment giflé sa fille, brûlant la joue de Marguerite sur laquelle coulaient d’interminables larmes.
Sa mère l’accablait de questions et la jeune fille ne semblait pas comprendre ce qui lui arrivait.
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