Marguerite
parents déjà âgés: son père, Jacques Sachet, un ancien voyageur, et sa mère, Madeleine Boileau. Sa sœur Elisabeth, aujourd’hui morte depuis plusieurs années, était, { cette époque, déjà mariée à Nicolas Lagus.Victoire se réjouissait toujours lorsqu’on annonçait le retour du cousin adoré pour les vacances. Il était enfant unique et la traitait en petite sœur, lui apprenant patiemment à lire dans ses livres de collège ou à manier la plume pour former des lettres sur de vieux parchemins. Puis, un jour, il était revenu de Trois-Rivières avec une belle dame à son bras, une riche et noble demoiselle, désormais son épouse. Longtemps, Victoire s’était rappelé la peine ressentie et ses espoirs envolés.
Trois ans plus tard, Victoire épousait à son tour François Lareau, fils d’un prospère cultivateur de la paroisse. Elle avait cessé de fréquenter son cousin. Il restait pourtant le seul lien qui la rattachait { sa vie d’autrefois, partageant avec elle des souvenirs uniques. Les exploits des oncles Boileau et Ménard dans le pays d’En-Haut, les récits de voyage en canot vers les postes de traite de Chagouamigon et Michillimakinac, les vieilles tantes racontant des légendes indiennes à voix basse, murmurant en ricanant quelques phrases en abénaquis, toutes ces histoires fabuleuses du temps de la Nouvelle-France, racontées au coin du feu, avaient captivé les enfants qu’ils étaient. Ce monde révolu fut leurs monts et merveilles.
Oui, les temps avaient changé. Monsieur Boileau était à ses affaires, tandis que les maternités successives et le travail de la ferme avaient happé Victoire. Désormais, on se saluait
{ la messe et aux funérailles de parents et d’amis.
Cependant, Victoire aurait été étonnée d’apprendre que sa seule vue provoquait chez la charitable madame Boileau des monceaux de rancœur inavouable. C’était plus fort qu’elle, mais la noble dame lui reprochait la bonne santé de ses nombreux enfants comme une offense personnelle.
C’était si injuste ! Pourquoi Dieu récompensait-il une habitante qui n’était pas vraiment un exemple de dévotion et de piété ?
En confession, lorsqu’elle faisait part de sa révolte au curé, ce dernier lui répétait invariablement :
— Les voix du Seigneur sont impénétrables.
«Oui, impénétrables», répliquait en son for intérieur madame Boileau. Toutes ses prières à la Vierge Marie, la Mère d’entre les mères, étaient restées sans écho et elle avait porté en terre un petit chaque année. Inexplicable mystère !
Ses mauvaises dispositions { l’égard de sa cousine par alliance n’empêchèrent pas madame Boileau d’offrir du café { sa visiteuse impromptue tout en s’informant des dernières nouvelles de sa nombreuse famille. Victoire remercia poliment, savourant le délicieux breuvage sucré et réconfortant.
— La tempête de cette nuit s’est calmée, constata la maîtresse de maison.
— Les vents violents ont fait beaucoup de dommages dans le chemin de la Petite Rivière, mais je n’ai pas vu de dégâts au village, répondit Victoire.
— Vos garçons doivent être assez grands pour aider leur père? Noël et les autres, comment s’appellent-ils déjà ? hésita madame Boileau en faisant mine de fouiller sa mémoire. Ils doivent déjà être grands et forts ?
— Il y a aussi Louis, Godefroi et Joseph, madame, dit Victoire plus sèchement qu’elle ne l’aurait voulu. Le toit de notre grange a été arraché. A ma connaissance, il y a bien des avaries chez nos voisins les Tétrault et { l’écurie de mon beau-frère, Joseph Lareau.
— Oh ! Mais c’est terrible, s’exclama madame Boileau.
Heureusement, son cousin faisait son entrée et Victoire n’eut pas { bafouiller une raison invraisemblable sur les motifs de sa présence chez ses cousins le lendemain de la fête des Rois. Vêtu simplement d’un pantalon de nankin, d’une chemise et d’une cravate négligemment nouée, Monsieur Boileau portait par-dessus une lourde robe de chambre de brocart.
— Bonjour, ma chère Falaise, fit-il en saluant tendrement son épouse d’un baiser sur la joue. Comment allez-vous ce matin? Le vacarme de cette nuit ne vous a pas empêchée de dormir? ajouta-t-il plein de sollicitude.
Et sans lui laisser le temps de répondre, il se tourna vers Victoire.
— Ma cousine, est-ce un bon vent ou ce noroît d’hier soir qui vous amène par ce froid et de si bon
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