Marguerite
présence d’une épouse vous permettra de garder votre servante chez vous. Les commères n’auront plus rien pour faire aller leur langue.
Abasourdi par ces révélations au sujet de sa domestique, Talham braqua son regard sur le curé. Mais le pire, c’était que Bédard considérait sérieusement la solution de Boileau.
— Comment, messire Bédard ? Vous approuvez cette insupportable proposition? Je devrais dire ce «marchandage».
— Permettez-moi, mon cher Talham, de me rallier à la demande de Monsieur Boileau. Vous avez eu l’amitié de me faire connaître les vifs sentiments que vous inspirait votre défunte épouse, et la douleur inextinguible que provoquât sa perte. Mais il serait temps de vous remarier. Les hommes de votre âge font généralement de bons maris et de bons pères. La jeune fille est éduquée et appartient à une de nos meilleures familles d’habitants, étant la cousine même de Monsieur Boileau. Elle possède tout ce qu’il faut pour devenir l’épouse d’un médecin. Vous n’aurez pas { rougir d’une femme dont les origines remontent aux premiers temps de cette paroisse, bien au contraire. Et vous éviterez à cet enfant de naître dans la honte. Que dire de plus?
L’arrangement est parfait.
On dira surtout que le docteur a engrossé une fillette.
Je perdrai des pratiques et la confiance de ma clientèle, surtout chez les gens de la bonne société, car les pauvres m'en tiendront moins rigueur, quoique plusieurs hésiteront avant de quérir mes services.
—J’avoue que cette question est préoccupante et que je n'ai point eu le temps d’y réfléchir, fit le curé. Mais nous trouverons un moyen, n’est-ce pas, Monsieur Boileau?
Que faire pour protéger tous ses paroissiens ? se demanda le curé. Pas question de priver les pauvres de la paroisse du bon docteur qui les soignait souvent sans rien réclamer, sinon une poule ou quelques légumes. Les arguments de Boileau étaient sensés. Le choix du docteur Talham s’avérait excellent. Par contre, il comprenait l’hésitation de ce dernier. En l’espace d’une heure, on le suppliait d’épouser une jeune fille qu’il connaissait { peine et, qui plus est, avait été engrossée par un inconnu dont il fallait, selon Boileau, ne pas chercher à connaître le nom.
Mais si le docteur Talham refusait d’épouser la jeune fille, qui le ferait ? Et comment les Lareau surmonteraient-ils le choc du scandale? Il pensa à François Lareau et à sa femme, Victoire. D’infatigables travailleurs. Une terre prospère. Des gens honnêtes à la réputation sans tache.
Lareau avait été marguillier en charge et sa femme était une Boileau, par sa mère. La déchéance de leur fille les anéan-tirait. Et quel malheureux exemple à donner aux esprits faibles de la paroisse, toujours prompts à pécher !
Le docteur s’était installé devant la fenêtre, le regard vague, fixant au loin un point imprécis. Ses propres pensées le surprenaient. Il était incapable de rester indifférent à l’invraisemblable conversation qui venait d’avoir lieu. Il ressassait ses souvenirs, son mariage avec Appoline, si belle, si vive. A ce moment précis, elle lui manquait cruellement.
D’elle, il n’avait eu aucun enfant. Elle était morte à vingt huit ans { peine, l’abandonnant seul et sans famille en terre d’Amérique. La sœur d’Appoline, qu’on appelait Manette, avait épousé le notaire Joseph-Edouard Faribault de L’Assomption, quelques jours { peine avant sa mort. Manette et lui avaient conservé de bonnes relations, épistolaires surtout. Plus d’une fois, sa belle-sœur lui avait suggéré de se remarier. «Ne restez pas seul, Alexandre. Votre chagrin ne fera pas revenir ma chère sœur. » Les Faribault approu-veraient un mariage avec une parente des Boileau de Chambly.
Il se rappela Marguerite Lareau à la dernière Saint-Martin. Le hasard avait fait qu’ils s’étaient tous les deux trouvés ensemble à la fête. Selon ce que Boileau leur avait rapporté, c’était peut-être ce jour-là qu’il était arrivé malheur à la jeune fille. Finalement, était-ce vraiment le hasard qui était intervenu lorsqu’il avait offert son bras { Marguerite ?
Il chassa cette pensée. Mais jamais, auparavant, il n’avait ressenti aussi fortement la solitude.
— Vous me piégez, Boileau, accusa-t-il d’une voix rauque. Et vous aussi, messire Bédard.
Boileau nota un imperceptible changement d’attitude chez le
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