Marguerite
profondément blessé, et nous n’avons que des soupçons.
— Je ferai avouer la jeune fille en confession, affirma le curé.
— Et une fois dépositaire du secret, que ferez-vous ?
Le malappris niera, soyez-en assuré, déclara le docteur.
Sans compter que la vérité peut comporter des dangers.
Rappelez-vous que Marguerite est terrorisée. Elle n’a pas seulement besoin d’être mariée, elle a aussi besoin d’être protégée.
Les secrets d’alcôve échappaient rarement { un médecin et dans l’exercice de sa profession, il avait parfois eu connaissance d’abominables choses. Des choses honteuses qu’on taisait.
— Vous êtes un sage, Talham, prononça Monsieur Boileau d’un ton sombre. Celui qui a commis ce forfait ignore pour l’instant qu’il est le père de l’enfant de Marguerite. Mais s’il l’apprenait, Dieu seul sait de quoi il serait capable pour sauver sa réputation.
Il se leva pour ajouter une bûche dans le poêle. Le curé et le docteur allumèrent leur pipe. Le bourgeois, qui pré-
férait priser, sortit une tabatière en or de la poche de sa veste. Il renifla et toussota.
— Inutile de s’attarder { chercher le vrai père de l’enfant. Nous pourrions avoir une très mauvaise surprise.
Trouvons-lui un mari et un père convenable.
— Vous avez raison et je comprends que vous veniez consulter messire Bédard, notre pasteur, dit le docteur. Mais moi, que puis-je faire pour vous aider, mon ami ?
La pièce était maintenant bien chaude, mais Boileau se frottait vigoureusement les mains, comme s’il avait froid.
Ce geste lui était coutumier lorsqu’il éprouvait une grande émotion. Il fixa le docteur.
— C’est l{ que vous pourriez intervenir, mon cher Talham, avança prudemment le bourgeois.
— Je peux, oui, consulter mes connaissances et relations pour vous aider.
— Ce n’est pas { ce genre d’aide que je songeais, docteur, fit l’autre d’une drôle de voix. Vous pourriez encore faire plus que cela.
— Que voulez-vous dire ? demanda Talham qui commençait à se méfier de son ami Boileau.
Attendait-il de lui qu’il joue la «faiseuse d’anges»
comme une vulgaire matrone ? Non. Il n’oserait jamais lui demander une chose pareille. Surtout pas devant le curé!
Monsieur Boileau prit une profonde inspiration et risqua son va-tout :
— En étant le mari.
— Boileau ! s’étouffa le docteur, stupéfait par tant d’aplomb.Vous ne parlez pas sérieusement?
Messire Bédard, qui cherchait une solution de son côté, sursauta. L’audace de Boileau le sidérait.
— C’est un immense service que je vous demande, j’en suis fort conscient, ajouta vivement le bourgeois qui ne voulait pas rompre le fragile filin qu’il venait de lancer. Par amitié pour notre famille, je vous implore de secourir une jeune fille au noble cœur qui a certainement été violentée par une brute, implora-t-il d’un ton suppliant. Et les Lareau sont au désespoir !
Talham resta médusé par l’outrecuidance du bourgeois qui se disait son ami et se permettait de disposer de lui sans sourciller. Pas de doute, il rêvait. C’était un cauchemar et il allait se réveiller. Il secoua la tête.
— Mais vous êtes fou ! Vous me demandez aussi d’endosser cette ignoble paternité, d’entacher ma réputation {
jamais ? Dans quelle gabare voulez-vous m’entraîner ?
— Pensez-y, Talham. Vous êtes veuf depuis bon nombre d’années. Une jeune et jolie épouse vous apportera du contentement et tiendra votre ménage. Je pourrais vous avancer une dizaine de bons arguments sur les avantages de ce mariage.
— Figurez-vous que j’ai fait le vœu de ne pas me remarier, rétorqua le docteur d’un ton brusque.
— Vous l’avez juré { votre défunte ? demanda alors le curé.
—
Il ne s’agit pas de cela, répondit Talham, embarrassé.
Personne ne remplacera jamais auprès de moi mon inestimable Appoline. Je ne souhaite ni un mariage de convenance ni d’aucune autre sorte. D’ailleurs, j’ai suffisamment d’occupations dans la paroisse de Chambly pour ne pas m’encombrer d’une épouse et d’enfants. J’y ai aussi d’excellentes relations et de bons amis. . du moins, c’est ce que je croyais jusqu’{ maintenant, ajouta-t-il en jetant sur Boileau un regard courroucé. Et je ne réclame rien de plus au ciel que de m’accorder la force nécessaire pour poursuivre l’exercice d’une profession que j’aime.
— Cher ami, insista Boileau qui ne voulait
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