Marguerite
pas lâcher sa proie, n’aimeriez-vous pas avoir des fils qui assureront la perpétuité de votre nom en Amérique ?
— Boileau, il est hors de question que j’épouse Marguerite Lareau, retirez ça de votre ingénieuse cervelle.
Peu m’en chaut de perpétuer le nom de Talham, surtout avec l’enfant d’un autre, malgré tout le respect que j’ai pour la jeune Marguerite et sa famille.
Et il attrapa son violon pour le ranger dans son étui, bien décidé à partir, cette fois.
— Allons, allons, messieurs, vous allez vous échauffer les sangs ! intervint vigoureusement le curé.
Mais la dispute ne cessa pas.
— Des pères de parade, cela s’est vu, poursuivait l’imperturbable Boileau. La paternité est avant tout un état de fait.
— Tiens donc ! Serait-ce votre cas, mon cher Boileau ?
le nargua Talham.
— La vertu de mon épouse est irréprochable ! rétorqua le bourgeois, offusqué.
— Cela suffit, messieurs ! ordonna sévèrement le curé en haussant le ton pour couvrir les éclats de voix. Je vous en prie, reprenez vos esprits !
Jean-Baptiste Bédard s’assit { sa table de travail et entreprit de tripoter une plume, ce qui l’aidait généralement
{ réfléchir lorsqu’il écrivait ses sermons. Il suffisait de réfléchir. On finirait bien par trouver un meilleur candidat pour épouser la jeune fille. Quoique, { bien y penser, l’idée de Boileau n’était pas mauvaise. A vrai dire, il la trouvait même excellente.
— Des noces expéditives paraîtraient plus naturelles à l’intérieur de votre clan familial, argua Talham. La paroisse entière est votre parente.
— Malheureusement, il n’y a aucun jeune homme dans ces familles en âge de se marier. Et Marguerite ne fera pas une bonne épouse d’habitant, répondit simplement Monsieur Boileau.
— Pas une bonne épouse pour un habitant, mais une bonne épouse pour moi ! Vous ne manquez pas de culot, Boileau! Dans les circonstances, la jeune fille devra tout simplement obéir { ce qu’on lui ordonnera de faire, laissa tomber abruptement le docteur.
— C’est pourquoi elle acceptera de vous épouser si vous y consentez.
— Je n’ai jamais démontré le moindre intérêt pour cette jeune fille, protesta le docteur. Et j’ai l’âge d’être son père!
— Des époux avec de grands écarts d’âge sont chose courante.
— Ces hommes ont toujours l’air ridicule. Rappelez-vous comment la bonne société s’est gaussée de monsieur Baby lorsqu’il a épousé, { cinquante-deux ans, la jeune demoiselle Tarieu de Lanaudière, qui n’en avait que quinze.
On en parle encore.
— C’est vrai, on a bêtement ricané dans les salons. Mais tous se sont tus en voyant la belle entente de ces deux-là et les beaux enfants qu’ils ont eus.
Talham resta coi. Pourquoi argumentait-il alors que tout cela était si absurde ?
— Le temps que notre curé demande la dispense et reçoive la réponse de Monseigneur, cela prendra bien deux ou trois semaines. Vous pourrez faire votre cour pendant ce temps-l{, poursuivit l’imperturbable Boileau.
— Et l’enfant qui arrivera en août?
— Si vous vous mariez d’ici deux ou trois semaines, on dira tout bonnement qu’il est venu avant son temps. Cela arrive, parfois, un « petit sept mois » !
— Quel redoutable plaideur vous faites ! Au train où iront les choses, c’est déj{ un « petit six mois » qui est en route. Et ma réputation ? Qu’en faites-vous ?
— Justement, ce mariage fera taire les mauvaises langues, avança sournoisement Boileau.
— Que voulez-vous dire ?
— Vous n’êtes pas sans savoir que la présence d’une jeune servante sous votre toit fait jaser.
— Vous êtes ignoble ! Selon votre charitable raisonnement, j’aurais dû jeter Charlotte { la rue { la mort d’Appoline, sans aucune pitié. Mais quelle sorte de monstre êtes-vous donc ? Et vous insultez la mémoire de ma défunte femme qui a élevé notre servante comme sa fille! Le docteur fulminait.
— Calmez-vous, intervint le curé Bédard. Personne ne doute de votre grand cœur. Malheureusement, docteur, Monsieur Boileau dit vrai. Plus d’une fois j’ai dû faire taire un esprit malveillant, soi-disant choqué par la présence de Chalotte sous votre toit.
— Un jour ou l’autre, Talham, vous devrez vous résoudre à demander à Charlotte Troie de vous quitter pour la remplacer par une duègne irascible, mais irréprochable sur le plan moral, renchérit Boileau. Par contre, la
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