Marguerite
ans et qu’il n’était pas trop tard pour refaire sa vie. Une nouvelle épouse effacerait peut-être le pénible sentiment d’abandon qu’il ressentait souvent en rentrant chez lui, une fois ses visites finies, le soir, parfois si tard que les feux des poêles s’étaient éteints dans la maison devenue froide et silencieuse.
Le docteur avait mal dormi cette nuit-là, mais au matin, sa décision était prise. Lorsqu’il frappa { la porte de Monsieur Boileau, il avait encore le visage défait, l’air hagard d’un homme qui avait combattu ses pires démons.
Ce dernier le conduisit dans son petit cabinet. Talham refusa de s’assoir et avant même que Boileau ne prononce une parole, il lança abruptement, d’une voix rauque, presque meurtrie:
— J’accepte. J’épouserai Marguerite Lareau. Vous pouvez garder vos cadeaux de noces, je n’en veux pas. Surtout, n’ajoutez rien et ne me demandez pas d’explication, d’ailleurs, je ne saurais vous en fournir. Dieu m’est témoin que je ne souhaitais pas me remarier. Je ne suis sans doute qu’un vieux fou, mais je vous en donne ma parole. Vous pouvez annoncer
{ vos cousins Lareau que j’irai faire ma demande dans les prochains jours. Et de grâce, ne me remerciez pas, dit-il avant de repartir aussi vite qu’il était venu.
Deux jours après cette matinée inouïe au presbytère qu’il n’était pas prêt d’oublier, le docteur Alexandre Talham s’apprêtait { sortir. L’engagé venait d’atteler le cheval. A cette époque de l’année, les chemins enneigés rendaient les voyages faciles. Il n’y avait qu’{ laisser glisser doucement la carriole chaussée de patins sur la neige. Talham prit les rênes que lui tendait l’engagé, héla le cheval et la carriole s’élança sur le chemin du Roi qui longeait le bassin jusqu’{ l’extré-
mité du village. En empruntant une courbe qui menait directement à la Petite Rivière, il salua le passeur qui faisait traverser sur l’autre rive du bassin les gens qui se rendaient à Pointe-Olivier. Il remonta une vieille route jusqu’aux abords de la Petite Rivière, puis avisa une descente et poursuivit sur la longue bande glacée, filant droit son chemin.
Une demi-heure plus tard, il reconnut la ferme des Lareau et remonta une allée pour se retrouver dans la cour de la ferme où des enfants jouaient dehors.
Il venait formellement demander la main de la demoiselle Lareau { son père. L’estomac noué, il se sentait comme un collégien engoncé dans des habits neufs le soir de son premier bal. « Quel benêt je fais ! se dit-il, mal { l’aise malgré le fait qu’il se savait attendu comme un sauveur. N’est-ce pas moi qui rends un immense service à cette famille ? »
Talham tendit les rênes du cheval au garçon qui venait à sa rencontre. En apercevant la carriole du docteur, les autres enfants étaient vite rentrés, leurs charmants minois rougis par le froid et par la main vigoureuse de Victoire qui, le matin même, avait frotté les visages et ordonné le lavage de toutes les mains de la maisonnée. Les garçons étaient maintenant tous assis en rang dans l’escalier qui menait {
l’étage. La petite Esther souriait et babillait, assise sur les genoux de la fillette Marie. La mère avait averti sa marmaille de rester sage pendant la visite du docteur. Le poêle chauffait à tout rompre et un feu brûlait dans l’âtre, surchauffant la maison, ce qui n’empêchait pas Marguerite d’avoir de petits tremblements nerveux. Assise dans un coin, près d’une fenêtre, elle faisait des efforts désespérés pour se concentrer sur un ouvrage de couture. Lorsque le docteur entra finalement dans la maison en saluant à la ronde, elle resta penchée, tirant nerveusement son aiguillée.
Talham ne l’avait pas revue depuis la Saint-Martin. Dans son environnement familial, son extrême jeunesse était flagrante. Il lui semblait que les traces de l’enfance venaient
{ peine de s’estomper sur son visage rose, et cette apparente fragilité l’émut. « Crénom ! » se dit-il en se contentant de sourire timidement à la jeune fille qui, de son côté, tentait de cacher son désarroi en se relevant finalement pour saluer le nouveau venu d’une courte révérence.
Qu’avait-il fait pour mériter un tel trésor ? « Un affreux satyre épousant une fraîche jeune fille au visage de madone », se jugea-t-il sévèrement, bouleversé par la beauté émou-vante de Marguerite.
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« Mon Dieu
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